L’écologie sera socialiste ou ne sera pas


« Aussi longtemps qu’existent les hommes, leur histoire et celle de la nature se conditionnent réciproquement. »

Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie allemande, 1846. 


 

Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur l’état de l’environnement, son dérèglement et sa destruction. Mais ne cédons pas au catastrophisme, nous avons les armes pour nous battre : le socialisme. Cet article a pour but d’ouvrir une réflexion générale sur la manière dont les communistes doivent s’emparer de la crise écologique.

La Nature et l’être humain

Penser dialectiquement 

Dans l’usage courant, la « nature » évoque le bruissement des feuillages sous le vent, la course des nuages dans un ciel d’orage, ou encore l’alternance apaisante des saisons. Elle est perçue comme un décor, un cadre extérieur à l’activité humaine. Pourtant, dans la perspective du matérialisme dialectique, la nature est tout sauf un simple arrière-plan : elle est l’ensemble de la réalité en mouvement, la matière en perpétuelle métamorphose, le champ infini des transformations dont l’humain lui-même n’est qu’une modulation.

La contradiction entre la Société et la Nature n’est pas un caprice intellectuel, ni une lubie d’universitaires en mal de concepts. Elle est l’ossature même de l’histoire humaine, la matrice à partir de laquelle s’organisent les sociétés, leurs luttes et leurs métamorphoses. Car dès que l’être humain s’est extrait de la simple survie pour organiser collectivement son existence – en cultivant la terre, en façonnant ses outils, en érigeant ses premières structures sociales – il s’est inévitablement confronté à la Nature : il l’a travaillée, exploitée, maîtrisée, et en retour, il en a subi les limites. Cette relation Société-Nature n’a jamais été neutre. Elle a toujours été socialement déterminée car ce n’est pas un « Homme » abstrait qui s’oppose à la nature, mais bien des sociétés concrètes, définies par leurs rapports de production. 

Marx et Engels, souvent caricaturés par des lecteurs pressés, auraient négligé la question des relations entre la Société et la Nature – comme si leur pensée s’arrêtait aux portes de l’usine.  Rien n’est plus faux. Ils saisissent la relation entre la Société et la Nature dans sa dynamique historique, dans sa dialectique. Engels, en particulier, souligne avec force que chaque avancée technique, chaque saut du progrès humain, produit des effets imprévus et parfois délétères sur son environnement. Cette dialectique du progrès est limpide dans Le Rôle du travail dans la transformation du singe en homme1 : « Ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Pour chaque victoire, la nature se venge sur nous. […] Les peuples qui, en Mésopotamie, en Grèce, en Asie Mineure et ailleurs, détruisirent les forêts pour obtenir des terres cultivables, ne soupçonnaient pas qu’en supprimant en même temps les centres de recueillement et de stockage de l’humidité, ils posaient les bases de l’aridité actuelle de ces contrées ». Rien de plus actuel.

Marx, dans Le Capital2, le dit autrement mais tout aussi clairement : « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol. » L’exploitation des corps et celle de la terre relèvent d’un même processus, d’un même mode d’accumulation fondé sur la dépossession. L’exemple de la déforestation avancé par Engels illustre bien cette mécanique : en détruisant les forêts d’Italie, de Grèce ou d’Asie Mineure, l’humain a transformé des terres fertiles en déserts, modifiant jusqu’aux conditions climatiques locales. 

La question n’est donc pas de figer la nature dans une intangibilité sacrée, mais de la penser scientifiquement dans son interaction avec l’humain. Engels le dit : « Avec chaque progrès de l’industrie, des moyens d’échange et par suite de la production, l’homme n’apprend pas seulement à mieux connaître les lois de la nature, mais aussi à les utiliser d’une façon plus méthodique pour atteindre des buts déterminés. » Mais à quels buts répond cette transformation du monde ? Qui en définit la finalité ?

En finir avec l’Anthropocène

Cette transformation du monde par l’activité humaine, que Marx et Engels décrivent comme indissociable des logiques d’exploitation et d’accumulation, trouve aujourd’hui une expression conceptuelle dans la notion d’Anthropocène3. En reconnaissant que l’humain est devenu une force géologique capable de remodeler la planète, ce terme souligne l’ampleur des bouleversements en cours. Ce concept peut sembler de prime abord pertinent. L’activité humaine est devenue la principale force de transformation environnementale, bouleversant les cycles naturels et les écosystèmes, poussant la planète vers des seuils critiques. Mais derrière cette apparente lucidité se cache un piège : en désignant un « âge de l’Homme », ce concept tend à masquer l’essentiel. Il fait disparaître les structures sociales, économiques et politiques qui sous-tendent ces transformations. L’activité humaine ne s’exerce pas dans un vide social. Ce n’est pas une « humanité » abstraite qui bouleverse les écosystèmes, mais un système économique précis : le capitalisme.

Nommer l’époque actuelle « Capitalocène » plutôt qu’ « Anthropocène » a l’avantage de restituer aux crises écologiques leur ancrage historique et politique. C’est comprendre que la destruction des écosystèmes n’est pas une conséquence inévitable de l’existence humaine, mais le produit d’un mode de production spécifique, fondé sur l’extraction sans limite des ressources, sur l’exploitation effrénée du vivant et du non vivant. Sous le capitalisme, la nature devient simple marchandise, masse inerte à soumettre au diktat du profit, détruite au rythme des impératifs du marché. 

L’histoire nous enseigne que la nature n’est jamais une donnée inerte. Elle est travaillée, façonnée, inscrite dans des rapports sociaux. Or, si ces rapports sont injustes, la gestion de la nature le sera aussi. Il ne s’agit donc pas simplement de protéger l’environnement comme une entité extérieure, mais de transformer les structures qui sont à l’origine de sa destruction. Sous d’autres formes de production que le capitalisme, la Nature peut être envisagée autrement – non plus comme un gisement à épuiser, mais comme un élément à organiser rationnellement et scientifiquement.

Ce changement de perspective est essentiel, car il permet de repolitiser la question environnementale et de la replacer dans la matrice4 capitaliste. Si la cause du désastre est systémique, la solution ne peut être purement technique (énergies vertes, recyclage, etc.). Elle est nécessairement politique et économique, et implique une révolution. 

L’état actuel : un capitalisme autodestructeur

Intéressons-nous plus en profondeur à la situation actuelle. Nous pouvons ici nous baser sur le dernier rapport du GIEC5 – rapport faisant consensus au sein de la communauté scientifique – qui met en avant quelques exemples illustrant le caractère extraordinaire des changements en cours6 :

  • Les températures observées depuis 1850 sont les plus hautes depuis le début du millénaire ;
  • la hausse du niveau de la mer est plus rapide depuis 1900 que depuis 3000 ans ;
  • les océans se sont réchauffés plus rapidement au XXe siècle que depuis 11 000 ans ; 
  • la concentration en CO2 dans l’atmosphère a atteint son record depuis 2 millions d’années.

Ces modifications majeures engendrent un certain nombre de conséquences :

  • Les événements météorologiques extrêmes (sécheresses, vagues de chaleur, inondations, incendies, cyclones tropicaux, etc.) ont lieu plus souvent et sont plus intenses ;
  • la biodiversité est menacée, des milliers d’espèces animales et végétales ont déjà subi des disparitions locales ; 
  • les risques sanitaires sont en augmentation : on observe une augmentation de la mortalité liée à la chaleur, aux maladies, aux pénuries alimentaires, etc. ;
  • la production agricole mondiale est également impactée, menaçant la sécurité alimentaire dans certains pays sous domination impérialiste ;
  • environ la moitié de la population mondiale connaît actuellement une grave pénurie d’eau pendant au moins une partie de l’année.

Les conséquences du dérèglement climatique, loin d’être uniformes, révèlent les fractures de notre société. Le prolétariat, déjà marginalisé par les structures capitalistes, subit et subira de plein fouet les effets dévastateurs de ce bouleversement environnemental. En revanche, la bourgeoisie, protégée par ses privilèges et ses richesses, pourra temporairement s’abriter des pires impacts. De même, les centres impérialistes, qui ont bâti leur prospérité sur l’exploitation des ressources et des peuples, seront relativement épargnés par les crises écologiques qu’ils ont eux-mêmes engendrées. À l’inverse, les pays de la périphérie, déjà fragilisés par des siècles de pillage et de dépendance, verront leurs conditions de vie se dégrader davantage. 

Sortir des idées reçues : socialisme et productivisme 

La protection de la Nature et les socialistes au XIXe siècle

Le socialisme, dès ses balbutiements, s’est évertué à éveiller la conscience du prolétariat quant à la nécessité de préserver son environnement – bien que parler « d’écologie » à cette époque relèverait d’un anachronisme. Cet écologisme avant l’heure, qui prend racine dans le XIXe siècle, s’habille des atours du romantisme et du naturalisme, mais il a l’immense mérite de mettre en lumière une vérité brutale : le prolétaire est enchaîné à un cadre de vie empoisonné, oppressant, un espace où s’amoncellent les suies industrielles, où s’exacerbent la promiscuité et l’absence d’hygiène, où le soleil lui-même peine à pénétrer les ruelles étroites de quartiers délabrés. Là, l’ouvrier s’épuise, son corps s’altère, ses enfants naissent chétifs et difformes, victimes d’un environnement que la bourgeoisie condamne sans vergogne à la crasse et aux épidémies. Les rapports médicaux, notamment en Angleterre, dressent un constat implacable : la pollution industrielle ne se contente pas de noircir les façades, elle ronge les chairs, elle mutile, elle tue à petit feu. Face à cette évidence, l’aile gauche du SPD, en 1895, donne naissance aux « Amis de la Nature », initiative visant à arracher les familles ouvrières à leur misère urbaine pour leur faire entrevoir un monde autre – un monde de forêts et de rivières, un monde dont il fallait comprendre qu’il était, lui aussi, en péril. Car la classe dominante ne se contente pas d’exploiter l’homme, elle saccage également la terre qui le nourrit. L’objectif était clair : ancrer la question environnementale dans la lutte ouvrière, certes de manière embryonnaire, mais avec la conviction que la nature, tout comme le travailleur, devait être soustraite aux griffes du capital. L’association prospère, forte de près de 200 000 membres en 1920, jusqu’à ce que l’arrivée des nazis signe sa dissolution. 

Le socialisme, un productivisme ?

Une réplique souvent adressée aux marxistes par certains « écologistes » est celle du productivisme. Le politologue Paul Ariès oppose ainsi les « gauches anti productivistes » aux « gauches productivistes », établissant une frontière entre écologisme et marxisme7. L’URSS, et particulièrement sa période stalinienne, serait le parangon de la destruction de l’environnement. Il ne s’agit pas ici de faire de l’URSS un modèle d’État écologiste. Il s’agit plutôt d’analyser la vacuité d’un discours anticommuniste qui voudrait voir dans l’URSS une entité foncièrement hostile à toute considération environnementale. 

Mais qu’est-ce que le productivisme ? Au sens strict, il s’agit d’une doctrine économique qui prône la production pour la production, sans autre finalité que l’accumulation. Or, ce que l’on qualifie de « productivisme » est souvent une simple nécessité : celle de garantir l’autosuffisance d’un pays assiégé, celle de nourrir une population en crise. 

Ce même Paul Ariès note tout de même que dès ses débuts, l’État soviétique a pris des mesures de protection environnementale. Entre 1918 et 1922, des lois ont réglementé l’exploitation forestière, protégé la faune et réduit la chasse, interdit la pêche abusive et créé les premières réserves naturelles au monde. Cependant, avec la mise en œuvre du premier plan quinquennal (1929-1933), une évidence s’impose : la production socialiste devient la priorité absolue. Il s’agit de garantir l’autosuffisance d’une URSS meurtrie, qui souffre de l’isolement imposé par les puissances impérialistes, hérite d’une agriculture tsariste archaïque et peine à se relever d’une guerre civile dévastatrice. Dans ce contexte, l’écologie s’efface, reléguée à l’arrière-plan… mais elle ne disparaît pas. 

Ce n’était pas un détail, pas un à-côté insignifiant : la question écologique s’imposait au cœur même des réflexions scientifiques et politiques. Vladimir Vernadski, minéralogiste soviétique et figure pionnière de l’écologie moderne, avait déjà conceptualisé la biosphère comme un système où les activités humaines s’entrelacent avec les dynamiques naturelles. Une pensée qui, en Union soviétique, trouvait un écho dans les orientations stratégiques du régime. En 1948, au sortir des famines meurtrières de 1946-1947, le pouvoir lança le « grand plan de transformation de la nature » : canaux d’irrigation, reboisement des steppes, création de zones lacustres…Au même moment, la France, sous influence nazie puis américaine, appliquait le « grand remembrement », destructeur pour les paysages et les terres agricoles8

Les véritables dérives « productivistes » en URSS n’apparaissent en réalité pas vraiment sous Staline mais sous Brejnev, lorsque l’Union Soviétique, dévoyée de ses idéaux communistes, tombe dans une gestion bureaucratique aveugle. L’exemple catastrophique de la mer d’Aral en est l’illustration la plus tragique. Ainsi, si l’on cherche un moment où l’environnement est sacrifié sur l’autel de la production effrénée, il faut se tourner vers les décennies postérieures, et non vers la période où la lutte pour la souveraineté et la survie des populations dictait les choix économiques.

Parmi les expériences socialistes, nous aurions également pu examiner l’exemple de Cuba qui, pour beaucoup d’écologistes progressistes, est un exemple de « développement durable ». Si le pays a réussi à trouver cet équilibre entre le développement d’un système soutenable économiquement et écologiquement, c’est parce que la question a été posée dès la Révolution de 1959. 

Que faire ? Les propositions du capitalisme  

Le capitalisme, pris dans ses propres contradictions, cherche à s’adapter face à la « crise écologique ». Mais son adaptation n’est pas uniforme. 

Le capitalisme vert

Le « capitalisme vert » n’a pas d’autre ambition que celle de s’adapter, non de se remettre en cause. Sa forme la plus grossière consiste à exploiter la conscience écologique des consommateurs, usant d’un marketing bien rodé pour justifier des prix plus élevés ou masquer la réalité d’un projet polluant. “L’aéroport vert et forestier » de Notre-Dame-des-Landes en est un exemple éclatant : repeindre en vert ce qui détruit. Cette technique porte un nom : le « greenwashing ». Il ne s’agit pas de modifier la réalité de la pollution, mais d’en ajuster la perception, de convertir un problème en opportunité marchande. Neutralité carbone, consommation responsable, labels bio ou équitables : autant d’arguments de communication qui ne changent rien aux structures profondes de production et d’exploitation.

À un niveau plus élaboré, le capitalisme prétend résoudre la crise environnementale en mettant sur le marché des produits prétendument « écologiques » : moins polluants, moins gourmands en ressources, parfois même issus d’alternatives renouvelables. Mais là encore, le problème reste entier. D’une part, la différence d’impact entre ces produits et leurs équivalents classiques est minime à l’échelle globale ; d’autre part, leur existence même perpétue le mythe selon lequel la solution viendrait d’un choix individuel du consommateur éclairé. Or, la production reste capitaliste dans sa logique : fondée sur la consommation de masse, l’accélération des cycles de renouvellement et l’exploitation des ressources.

En fin de compte, ce que le « capitalisme vert » vend, ce n’est pas une transformation structurelle, mais une illusion de transition. Il ne remet pas en cause la logique extractiviste et capitalistique qui en est la cause profonde, mais la recycle en un argument de vente, diluant ainsi l’urgence écologique dans un brouillard de communication bien agencé.

Écofascismes

Une autre des solutions qu’amène la crise écologique du capitalisme est l’écofascisme. Comme le soulignait Clara Zetkin9, « le fascisme est une expression de la décadence et de la désintégration de l’économie capitaliste ». L’écofascisme n’en est que la variante verdâtre, la réponse d’une partie de la bourgeoisie à la destruction de la nature par son propre système. Incapable d’envisager une remise en cause des structures de production et de propriété, elle préfère la fuite en avant : un vernis écologique posé sur un autoritarisme réactionnaire.

Le chercheur Antoine Dubiau10 l’a bien compris lorsqu’il affirme que l’écologie « n’est pas (naturellement) de gauche ». Si l’extrême droite reste marquée par une négation générale du changement climatique, deux processus parallèles sont en cours : la fascisation de l’écologie et l’écologisation du fascisme. Ces deux processus sont par ailleurs distincts : « La première se définit comme un ensemble de pentes glissantes vers une conception fasciste de l’écologie, dans les approches écologistes courantes. La seconde se rapporte à l’histoire de l’appropriation de l’enjeu écologique par les idéologues fascisants, voire fascistes »11.

L’un des représentants médiatiques de cette fascisation de l’écologie n’est autre que Pierre Rabhi. Sous l’apparence d’un sage prônant la simplicité volontaire se cache un penseur de la régression sociale, exaltant un retour au « vrai monde », celui de la terre et de la frugalité. Il dessine un tableau idyllique où l’honnête paysan travaille sa terre avec abnégation, en harmonie avec les « lois naturelles », loin des artifices de la modernité et des institutions sociales. Mais derrière cette imagerie pastorale se profile une vision traditionaliste et essentialiste de la société, où tout ce qui contrevient à un prétendu « ordre naturel » doit être écarté. Nous ne sommes pas loin des envolées de Maurice Barrès sur le « pays réel » et « la terre qui ne ment pas ».

L’écologisation du fascisme, quant à elle, ne se limite pas à des discours réactionnaires sur la nature et la ruralité : elle infiltre l’appareil idéologique de l’extrême droite. Historiquement, certains mouvements fascistes ont exalté un retour à la nature, vanté la pureté des paysages et glorifié une harmonie mythifiée entre le peuple et son environnement, mais toujours au service d’une vision racialiste et excluante. Le régime nazi en fournit un exemple criant : si des politiques de protection des forêts et de préservation de la faune ont bien été mises en place, elles s’inscrivaient dans une logique visant à réserver un espace vital (Lebensraum) à la « race aryenne » au détriment des peuples jugés inférieurs12.

Aujourd’hui, cette écologisation du fascisme se retrouve dans les discours de la Nouvelle Droite française, qui, depuis les années 1970, promeut une écologie identitaire et nationaliste. Loin de remettre en cause le système économique responsable de la destruction environnementale, ces « penseurs » détournent l’écologie pour en faire un outil de rejet des migrations. Sous couvert de préserver un « équilibre naturel », ils réactivent les vieilles obsessions xénophobes et essentialistes. Il ne s’agit donc pas d’une alternative au capitalisme, mais d’un nouvel habillage pour ses formes les plus brutales.

Un colonialisme vert : la protection de l’environnement à l’ère de l’impérialisme

L’historien Guillaume Blanc, dans son ouvrage L’invention du colonialisme vert, met en lumière comment les politiques de conservation de la nature en Afrique prolongent insidieusement des logiques coloniales sous le masque de l’écologie13. Derrière les discours de préservation se cache en réalité une mainmise impérialiste où institutions internationales, ONG environnementales14 et États occidentaux imposent des normes écologiques forgées à l’époque coloniale, au détriment des populations locales.

Blanc démontre que ces politiques reposent sur une vision fantasmée de la nature africaine, perçue comme un Éden primitif à sauvegarder de l’activité humaine. Or, cette nature n’est pas un espace vierge, mais un territoire habité, façonné par des générations de communautés vivant en symbiose avec leur environnement. Pourtant, des millions d’hectares sont accaparés, classés en parcs nationaux ou réserves naturelles, au prix de l’expulsion brutale et de la marginalisation des habitants. Ces derniers, qualifiés d’« intrus » sur leur propre sol, sont criminalisés dès qu’ils persistent à pratiquer leur mode de vie ancestral, devenu illégal au nom de la préservation.

L’absurdité atteint son paroxysme lorsque ces politiques imposent à l’Afrique des standards environnementaux dictés par les pays impérialistes, standards jamais appliqués à leur propre gestion du territoire. Pendant que les capitales occidentales bétonnent, polluent et déforestent sans état d’âme, elles somment les pays africains de rester des sanctuaires naturels. Ce néo-colonialisme écologique ne fait que renforcer les inégalités et reconduire sous une forme nouvelle la domination occidentale, toujours prompte à s’ériger en gardienne de la vertu tout en perpétuant sa propre prédation.

Un programme socialiste !

Nous sommes d’accord avec le climatologue (et soutien d’Anne Hidalgo) Jean Jouzel pour qui « le capitalisme est incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique15  ». Mais poser le constat n’est pas difficile. Le plus difficile est de proposer un nouvel avenir pour l’Humanité. 

Pour Reconstruction Communiste, la solution est simple : socialisme ! La présence d’un parti communiste, muni de son avant-garde, devient une condition essentielle pour éviter que le capitalisme aille jusqu’au bout de sa logique de destruction. Conscients que pour l’heure aucun « parti communiste » n’est en capacité de mener cette lutte, nous proposons cependant un certain nombre de lignes de forces qui doivent guider cette action. 

Socialisme ou barbarie 

Rien ne garantit que le socialisme suffira à surmonter l’intégralité des conséquences de la catastrophe écologique, mais une chose est certaine : sans lui, aucune issue n’est possible. Tant que le capital dictera sa loi, l’exploitation du vivant primera sur toute considération collective. La seule réponse cohérente est donc la propagation active du socialisme, condition nécessaire à la reprise en main rationnelle de notre rapport au monde.

Il faudra gérer les conséquences du capitalisme

Les ravages engendrés par le capitalisme ne s’effaceront pas d’un simple décret, et la prise de pouvoir du prolétariat ne suffira pas, à elle seule, à en dissiper l’héritage. Les empreintes idéologiques et psychologiques de l’exploitation persisteront, travaillant encore longtemps les esprits et les réflexes sociaux. Mais plus encore, les destructions infligées au climat et aux écosystèmes ne relèvent pas d’un désordre passager : elles ont inscrit dans la matière même du monde les marques irréversibles d’un mode de production fondé sur la prédation.

Le socialisme devra se confronter à cette réalité sans détour : il ne s’agit pas de restaurer un ordre ancien, de réparer à l’identique ce que le capital a brisé, mais bien d’organiser un monde où les conditions nouvelles — celles d’une planète endommagée et d’un équilibre écologique rompu — sont intégrées à la construction collective. La crise que nous vivons n’est pas une parenthèse, elle est le cadre dans lequel toute politique révolutionnaire devra désormais s’inscrire. L’erreur serait de la penser comme une anomalie passagère, alors qu’elle est déjà ce qui structure le siècle à venir.

La solution sera la planification

Si le capitalisme repose sur l’anarchie du marché, le socialisme doit, lui, s’appuyer sur une planification rationnelle et démocratique. Il ne s’agit pas de gérer la crise écologique avec les mêmes logiques qui l’ont produite, mais d’en finir avec le chaos productiviste et d’organiser consciemment l’économie en fonction des besoins humains et des limites matérielles du monde.

La première tâche de la planification écologique est de soumettre l’ensemble des secteurs économiques à un contrôle collectif. Plus jamais l’industrie ne pourra décider seule de ses orientations : l’usage des ressources, les formes de production, la répartition du travail et des richesses devront être déterminés par des assemblées ouvrières et scientifiques, loin des impératifs de rentabilité. La priorité ne sera plus l’accumulation du capital, mais la satisfaction des besoins sociaux dans un cadre soutenable. Les infrastructures de transport, les pôles industriels, l’agriculture : tout devra être réorganisé pour mettre un terme au saccage et assurer une reconversion socialement juste des travailleurs. Loin des logiques d’austérité, cette planification sera un levier d’émancipation, libérant l’humanité du gaspillage et du travail aliénant par l’essor des techniques et la réduction du temps de travail.

Sans mobilisation populaire, pas de socialisme possible, et pas d’acceptation des mesures de planification écologique

Le socialisme, ce n’est pas seulement un mode d’organisation économique, c’est une dynamique historique, un mouvement populaire qui émancipe le prolétariat et lui rend sa capacité d’action. Il ne saurait être une simple affaire d’experts ou de gestionnaires, mais bien une œuvre collective, portée par celles et ceux qui font tourner la société, par celles et ceux qui produisent, qui fabriquent, qui nourrissent, qui pensent, qui enseignent, qui soignent et entretiennent la vie commune.

C’est par cette réappropriation que l’on pourra non seulement construire les structures économiques et politiques nécessaires à une société libérée de l’exploitation, mais aussi forger les collectifs capables d’articuler l’idéal révolutionnaire avec les impératifs écologiques de notre époque. C’est ainsi que l’on donne aux masses les moyens de défendre la Révolution, de la faire vivre, de la protéger contre ceux qui voudraient la trahir ou l’éteindre.

L’internationalisme prolétarien est la condition de la réduction des tensions économiques et politiques, et de la baisse des échanges internationaux de biens

Ce qui découle logiquement de la proposition précédente, c’est que tout État socialiste issu de la lutte prolétarienne devra assumer les conséquences sociales du bouleversement climatique. La catastrophe écologique en cours n’est pas un accident, mais l’aboutissement d’un système fondé sur l’exploitation sans limite du vivant et la guerre économique permanente entre les nations. Il ne saurait y avoir de réponse fragmentée à un problème global : seule la classe ouvrière, organisée dans son intérêt collectif et débarrassée des logiques concurrentielles du capital, pourra abattre ce qui maintient le monde dans sa dynamique de destruction – l’économie de marché et son double idéologique, le nationalisme.

Face à la logique mortifère du profit et à l’absurdité d’une compétition qui oppose artificiellement les peuples, la seule réponse cohérente est une économie planifiée à l’échelle mondiale. Une planification non pas imposée par des appareils technocratiques ou des structures lointaines, mais pensée, voulue et mise en œuvre par ceux qui produisent et qui subissent aujourd’hui les ravages du capitalisme. C’est par l’organisation rationnelle des ressources et par la coopération des forces productives que l’on pourra affronter la crise climatique, non comme une fatalité, mais comme une tâche historique à accomplir.

Encourager la science et la technique pour libérer l’être humain de son labeur

L’idée d’une séparation entre l’Homme et la Nature est une construction idéologique à déconstruire : elle est fausse et réactionnaire. L’humanité transforme son environnement, non par accident, mais parce que c’est son mode d’action sur le monde. Il ne s’agit pas de nier ces transformations, mais de les assumer pleinement, en les orientant selon un projet conscient et collectif. La technologie, loin d’être un fardeau ou un péril en soi, est une condition essentielle de l’émancipation des travailleurs, en les libérant des tâches aliénantes. C’est pourquoi les crises écologiques ne doivent pas être subies comme des fatalités, mais combattues et dépassées par l’usage scientifique des avancées techniques : nanotechnologies, bio-ingénierie. L’enjeu n’est pas de refuser ces outils, mais de les arracher aux logiques capitalistes pour les mettre au service du bien commun.


« Le communisme, en tant que naturalisme achevé, est un humanisme, en tant qu’humanisme achevé, un naturalisme  ; il est la vraie solution de l’antagonisme entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme » 

Karl Marx, Manuscrits de 1844, Paris, Flammarion, 1996, p. 144


Bibliographie indicative

  • Antoine Dubiau, Écofascisme, Paris, Grevis, 2022. 
  • Friedrich Engels, Le Rôle du travail dans la transformation du singe en homme, 1876 [1896]. https://www.marxists.org/francais/marx/76-rotra.htm 
  • Guillaume Suing, L’écologie réelle : Une histoire soviétique et cubaine, Paris, Delga, 2018. 
  • Paul Guillibert, Terre et capital. Pour un communisme du vivant, Paris, Éditions Amsterdam, 2021.
  • Stefan Engel, Alerte à la Catastrophe, 2015. 

  1. Friedrich Engels, Le Rôle du travail dans la transformation du singe en homme, 1876 [1896]. https://www.marxists.org/francais/marx/76-rotra.htm
  2. Karl Marx, Le Capital, livre I, chapitre 15, section 10, 1872, p. 555. https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-15-10.htm
  3. Du grec Anthropos (être humain) et Kainos (nouveau), ce néologisme désigne une nouvelle époque où l’humain est au centre des transformations géologiques.
  4. Le terme de matrice sert à décrire les différents états (réels, advenus et potentiels) d’un système.
  5. Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC), a été créé à l’instigation des États-Unis et du Royaume-Uni en 1988 afin de court-circuiter un projet concurrent de l’ONU par crainte que des recommandations trop radicales émergent d’un organisme indépendant.
  6. https://reseauactionclimat.org/rapport-giec-climat-2021/
  7. Paul Ariès, « La gauche productiviste, c’est le stalinisme », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n°130, 2016, pp. 41-61.
  8. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/remembrement-histoire-d-une-politique-au-taille-haie-9100320
  9. Clara Zetkin, La lutte contre le fascisme, 1923.
  10. Antoine Dubiau, Ecofascismes, Paris, Grevis, 2022.
  11. https://www.philomag.com/articles/ecofascismes-comment-lextreme-droite-sest-emparee-de-lecologie
  12. Johann Chapoutot, « Nazisme, environnement, écologie », La Pensée écologique, 2019/2, n° 4, 2019. pp. 26-30.
  13. Pour avoir une idée de ce que développe Guillaume Blanc, il est possible de lire cet article : https://theconversation.com/debat-colonialisme-vert-une-verite-qui-derange-146966
  14. Guillaume Blanc prend notamment l’exemple de l’ONG World Wildlife Fund (WWF).
  15. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-vendredi-08-septembre-2023-7027100