Le nucléaire est de nos jours un sujet écologique des plus clivants dans l’opinion publique. L’utilisation de l’énergie nucléaire civile fait débat aussi bien dans les organisations de gauche que de droite. Nous allons essayer dans cet article de démêler le vrai du faux, d’exposer de façon compréhensible le fonctionnement et l’intérêt écologique de l’énergie nucléaire. Nous reviendrons évidemment sur les arguments énoncés par les détracteurs de l’énergie atomique et nous tenterons de mettre en évidence certaines contradictions dans leur discours. Nous ferons également un point sur l’actualité de la recherche, nous observerons comment les améliorations technologiques prochaines vont bouleverser la manière que nous avons de produire de l’énergie. Cependant, avant de se pencher à proprement parler sur la force nucléaire, il convient de définir certaines notions de base.
Dans notre quotidien, nous ne voyons que les actions permises par l’énergie; nous ne questionnons que rarement la définition et l’origine de celle-ci. Pour faire simple, l’énergie est la capacité à générer une force entraînant le mouvement de la matière, son changement d’état ou la production de chaleur et de lumière. Au final, l’électricité produite par une centrale n’est que le moyen utilisé pour transférer de l’énergie d’un point A à un point B et la transformer en un autre type d’énergie (thermique, mécanique,…). La production de cette énergie a pris des formes très différentes au cours de l’histoire. La traction humaine et animale ou même la force hydraulique ont été jusqu’à la révolution industrielle les seuls moyens de créer de l’énergie utile à des fins humaines. À partir de l’ère industrielle, la création d’énergie se base sur l’exploitation des matières fossiles (gaz naturel, charbon et plus tard pétrole). Au milieu du XXème siècle, la création d’énergie par fission atomique révolutionne la production d’énergie électrique et apporte de nouvelles perspectives énergétiques pour le futur. Aujourd’hui, il est impensable de se passer de l’abondance énergétique dans laquelle nous évoluons. Nos sociétés modernes sont dépendantes de cet apport constant en électricité.
Depuis l’époque industrielle, la production massive et continue d’énergie constitue l’une des principales causes de l’émission de gaz à effet de serre (la production d’énergie représente 40% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial). Ces gaz sont à l’origine du réchauffement climatique actuel. La manière dont nos sociétés produisent de l’énergie est donc un point central lorsque nous parlons d’écologie. Pour la production d’électricité, on différencie deux types de création d’énergie: la production par combustion fossile et la production décarbonée. L’énergie par combustion fossile nécessite une grande quantité de matière non renouvelable et émet directement de grandes quantités de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Les énergies décarbonées, elles, ne rejettent du CO2 que de façon indirecte (seulement lors de la construction et de l’entretien des infrastructures). Néanmoins, toutes les façons de créer de l’énergie sans émissions carbone ne se valent pas, certaines présentent de nombreux désavantages. Nous aborderons ce point plus en détail un peu plus tard dans l’article. Il est important de préciser que nous ne traiterons ici que du nucléaire civil et non du militaire.
Nous avons tenté de réunir une documentation assez diverse, provenant de sources opposées à la production d’énergie nucléaire mais également provenant de sources favorables à celle-ci. Néanmoins, il est pour l’instant impossible d’échapper au point de vue bourgeois présent dans les deux camps. Ainsi il est commun de retrouver au côté de rapports scientifiques sérieux sur l’énergie nucléaire des expertises technocratiques issues de la bourgeoisie mettant en avant les profits économiques de tel ou tel aspect de la production d’électricité.
Nous cherchons à proposer une approche profondément sociale et écologique de la production d’énergie. Le nucléaire est une technologie bien trop précieuse pour la laisser aux mains de la bourgeoisie qui ne recherche que son profit. Nous allons donc réfléchir à la place de l’énergie nucléaire dans une politique écologique sociale ambitieuse.
Les réacteurs à fission nucléaire
Observons tout d’abord l’industrie nucléaire présente aujourd’hui en France. Les différents réacteurs en activité créent de l’électricité grâce au principe de la fission atomique. En quelques mots, des noyaux lourds (uranium, plutonium,…) sont divisés par l’envoi de neutrons. Cette fragmentation des atomes lourds dégage de l’énergie et expulse d’autres neutrons, formant ainsi une réaction en chaîne permettant la production massive d’énergie. Cette énergie transportée sous forme d’électricité permet ainsi d’alimenter en énergie tout le territoire français. Par exemple, la centrale nucléaire de Saint-Alban en Isère a produit 17,7 milliards de kWh en 2014, cette production correspond à elle seule à 30% de la consommation d’électricité de toute l’ancienne région Rhône-Alpes.
Le nucléaire, une production énergétique écologique?
Comme dit précédemment, l’émission de gaz à effet de serre est due en grande partie à la production d’électricité. Cette production représente 40% de la pollution à l’échelle mondiale mais lorsque l’on passe à l’échelle nationale française, elle ne représente que 9%. Comment expliquer alors ce décalage entre les émissions de gaz mondiales et celles en France? Grâce à l’observation du mix électrique français. En effet, le nucléaire à une place toute particulière dans ce mix avec 70% d’énergie d’origine nucléaire produite. Les 30% restants sont composés en grande partie de l’hydraulique (11,2%) et du gaz naturel (7,3%). Le cas français illustre parfaitement l’intérêt du nucléaire si nous voulons tenter de maintenir le réchauffement climatique à 2°C jusqu’à la fin du siècle. Cet objectif n’est en effet atteignable que si nous laissons 80% des ressources fossiles dans le sous-sol comme le rappelle le GIEC.
Néanmoins, il est encore possible d’optimiser les installations nucléaires et leurs abords pour augmenter le potentiel écologique et social des réacteurs. Effectivement, l’énergie consommée par les industries, le tertiaire et les habitations rejette également beaucoup de gaz à effet de serre (28% d’émission de gaz à effet de serre en 2016). Cette consommation d’énergie est notamment due au chauffage des infrastructures et des logements. Aujourd’hui, les réacteurs les plus utilisés en France sont de type REP (Réacteur à Eau Pressurisée); en plus de produire de l’énergie sous forme électrique, ils dégagent une très importante quantité de chaleur: la température de sortie du générateur de vapeur, présent dans chaque centrale, est de 285°C. Cette chaleur n’est aujourd’hui pas utilisée alors qu’elle pourrait être mise à contribution pour le chauffage d’un certain nombre de bâtiments industriels proches voire de certains centres urbains d’importance. La planification et l’organisation du tissu industriel aux alentours des complexes pourrait ainsi éviter un important gâchis énergétique.
Continuer à développer le nucléaire semble donc primordial pour atteindre une production énergétique totalement décarbonée. Néanmoins, depuis 1993, la contribution du nucléaire dans la création d’électricité ne fait que décroître. Cette réduction du rôle de l’atome est le résultat d’une défiance d’une partie de la population face à l’industrie nucléaire, ainsi que d’une considération croissante des énergies “vertes”. Cette défiance se base en grande partie sur le manque de compréhension du public face à l’énergie atomique. Un sondage IPSOS de 2017 illustre de manière criante la difficulté d’information sur le nucléaire. En effet, ce sondage révèle que 75% des personnes s’étant prononcées contre le nucléaire étaient persuadées que le nucléaire contribue “beaucoup” au réchauffement climatique. Cette défiance a notamment été encouragée par un certain nombre d’associations comme Greenpeace ou Réseau Sortir du nucléaire.
Une technologie qui ne fait pas l’unanimité
On retrouve des antinucléaires aussi bien à droite de l’échiquier politique qu’à gauche. Cette pensée peut se retrouver aussi bien dans les idéologies écologistes primitivistes ou anti-technologie que chez certains libéraux qui voient dans l’écologie un nouveau marché à conquérir. Nous allons donc un peu plus nous pencher sur l’argumentaire des personnes hostiles à l’énergie nucléaire et tenter de revenir sur un certain nombre d’idées reçues, souvent entretenues par ces derniers.
Sécurité et gestion des déchets
Lorsque l’on observe les différents arguments énoncés par des antinucléaires, on en vient généralement à aborder deux points fondamentaux: la question de la gestion des déchets et la question de la sécurité des centrales.
La question du stockage des déchets nucléaires est primordiale dans le débat et il s’agit en effet d’un point à aborder. Pour rappel, un déchet radioactif est une substance radioactive ne pouvant être réutilisée ou recyclée. Ces éléments sont classés en fonction de leur radioactivité et de la durée du temps où ils resteront radioactifs.
Le tableau ci dessous résume cette classification et la gestion des différents déchets en vigueur sur le territoire français :
Le but est de réussir à isoler ces éléments jusqu’à ce que leur dangerosité radiologique ait suffisamment diminuée. Les dangers de la contamination radioactive de l’environnement pour l’être humain se caractérisent notamment par une augmentation du nombre de cancers (thyroïde, leucémie,…). Le stockage en surface ou en faible profondeur convient parfaitement pour les déchets à vie limitée et/ou de faible activité. Pour ce qui est des déchets de moyenne activité à vie longue ou des déchets à haute activité, le stockage en profondeur semble être la meilleure solution. Nous parlons ici d’un enfouissement des déchets à une profondeur de 500m, dans un endroit dénué de ressources souterraines et présentant une importante stabilité géologique. De plus, les projets de ce type présentent l’intérêt d’être réversibles et progressifs. Cette souplesse permet de réorienter la stratégie de traitement de ces déchets en fonction des avancées scientifiques futures. D’ici 150 ans, l’intégralité des déchets sera stockée et le complexe sera alors scellé. La crainte principale des gens réside généralement dans la longévité de certains de ces éléments radioactifs, restant parfois actifs pour des centaines de milliers d’années. Néanmoins, les mesures d’enfouissement et de signalement (ou justement de camouflage) des installations sont étudiées depuis des années pour répondre à des problèmes aussi particuliers que la gestion des déchets nucléaires.
Le deuxième point qui est constamment au cœur des polémiques est celui de la sécurité des installations. Cette question de la sécurité nucléaire est en réalité un faux débat. Celle-ci a été alimentée tout au long de la Guerre Froide par la peur d’un conflit nucléaire mondial et par la spectacularité de l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Nous comptons seulement 3 accidents nucléaires d’ampleur jusqu’à aujourd’hui. Tout d’abord Three Mile Island (Pennsylvanie), accident de niveau 5 ayant relâché une faible quantité de radioactivité dans l’environnement et n’ayant fait aucune victime; ensuite Tchernobyl en 1986 (Ukraine), accident de niveau 7 ayant provoqué la mort de 60 à 4000 personnes selon l’ONU et ayant relâché beaucoup de radioactivité dans l’environnement proche. Le dernier incident en date est celui de Fukushima en 2011, on considère que rien ne permet de prouver qu’il y ait eu des décès ou des maladies liées à la radioactivité. Néanmoins, les évacuations directement causées par l’accident nucléaire concernaient 164 000 personnes en 2012, et c’est lors de ces évacuations et à cause de leur mauvaise gestion que plus de 2000 personnes ont trouvé la mort. À titre de comparaison, nous comptons au moins 69 ruptures de barrages hydrauliques depuis le début du XXème siècle, faisant 247 591 morts. Il est vrai cependant que les accidents atomiques provoquent une pollution des sols et plus généralement du vivant sur des kilomètres carrés et durant des milliers d’années. Cette éventualité, bien que rare, existe et cristallise en grande partie des peurs concernant la production d’électricité par centrale nucléaire.
Chaque jour nous prenons des risques importants pour nous permettre d’utiliser la technique. Si nous acceptons de prendre ces risques, c’est bien qu’un bénéfice plus ou moins important est en jeu. Les bienfaits de l’électricité d’origine nucléaire, qu’ils soient écologiques ou sociaux, nous obligent à accepter ce risque. Les dispositifs mis en place pour sécuriser et limiter l’impact des accidents nucléaires n’ont cessé de se perfectionner au fur et à mesure du temps et des différents incidents. On constate en effet qu’après chaque accident, même mineur, des améliorations des systèmes de sécurité et de confinement sont développées. Il va de soi qu’une vigilance constante ainsi que des budgets pour l’entretien et l’amélioration des structures est nécessaire pour assurer la parfaite sécurité de ces installations.
Les “alternatives” au nucléaire
Les personnes hostiles à la production d’énergie d’origine nucléaire mettent en avant un certain nombre de moyens pour se passer de cette façon de créer de l’électricité. L’objectif est ici d’avoir un mix énergétique 100% “vert”, ce qui passerait par exemple par l’utilisation de la production photovoltaïque ou éolienne. Mais est-ce que ces énergies sont aussi écologiques que prévu?
Les énergies dites “renouvelables” présentent en réalité de nombreux problèmes d’ordre écologique. Si cet aspect est relativement bien documenté par les publications scientifiques, la transmission vers le grand public reste plus difficile. Tout d’abord, d’un point de vue environnemental, les différentes alternatives au nucléaire présentent un certain nombre d’inconvénients. On pense par exemple à la création de barrages hydrauliques qui inondent des vallées entières et impactent grandement la biodiversité fluviale. Cependant l’exemple le plus frappant reste certainement celui des panneaux photovoltaïques.
Le premier problème rencontré avec l’énergie solaire est celui de la productivité et de l’efficacité de ces dispositifs. En effet, pour augmenter la part de l’énergie solaire (actuellement autour de 2,2%) dans le mix électrique national, il faut multiplier les champs photovoltaïques et donc produire des hectares de panneaux. Ces espaces recouverts de dispositifs solaires conduisent immanquablement à une importante artificialisation des sols (substructure bétonnée) donc à un bouleversement des écosystèmes. Les panneaux solaires possèdent également une durée de vie relativement limitée, en général autour de 30 ans. Nous produisons d’ores et déjà une masse très importante de panneaux solaires, et ce pour une production électrique assez anecdotique. Cette production de “technologie verte” va bientôt se transformer en une quantité très importante de déchets encore difficiles à traiter.
Il faut nuancer la durée de vie de ces installations. Les panneaux sont très sensibles aux intempéries et ils s’endommagent assez vite, provoquant ainsi une importante baisse d’efficacité de la production d’électricité. De plus, tout comme les autres énergies renouvelables (hydrauliques, éoliennes…), l’énergie solaire dépend fortement du milieu dans lequel le dispositif producteur se situe. La dépendance à l’ensoleillement global et à la chaleur de l’air ne permet pas de mettre des champs photovoltaïques partout en France. Il paraît évident que les rendements énergétiques ne seraient pas les mêmes entre des panneaux dans le Midi et dans les Hauts de France. Il est donc clair qu’au-dessus d’une certaine latitude l’efficacité de ces dispositifs diminue grandement. Nous pensons que vouloir impérativement couvrir l’ensemble du territoire est contre-productif voire néfaste pour l’environnement.
Dans les faits, il apparaît que la création d’énergie a nécessairement un impact (direct ou indirect) sur l’environnement. La question est alors de peser le pour et le contre afin de trouver le moyen le plus productif, socialement rentable et écologique de produire de l’électricité. Dans ce comparatif, il semble donc que les énergies dites “propres” ou “vertes” posent beaucoup de problèmes environnementaux. Certes les centrales nucléaires créent une pollution indirecte (notamment lors de leur création et de leur entretien), mais lorsque l’on met en relation cet impact environnemental avec la quantité d’électricité produite, il s’avère que le nucléaire est une énergie propre. De plus, le GIEC met en avant l’impossibilité de se passer du nucléaire si nous renonçons aux énergies fossiles (carbonées). Néanmoins, nous ne devons pas être trop catégoriques et il est vrai que toutes les énergies renouvelables ne se valent pas. En effet, si les panneaux solaires accumulent un grand nombre de problèmes, d’autres sources énergétiques non-nucléaires présentent de sérieux avantages écologiques. C’est notamment le cas de la production d’électricité avec les centrales géothermiques (convertissant la chaleur du sous-sol en électricité). Ces axes de recherches ne seront pas détaillés ici mais feront certainement l’objet d’une réflexion à part entière. Il ne faut pas mettre de côté l’ensemble des énergies décarbonées n’utilisant pas le pouvoir de l’atome. Si la critique et le doute raisonnable sont importants vis-à-vis des énergies renouvelables, le dogmatisme ou les positions hypercritiques manquent de scientificité et sont contre-productives.
Un stockage complexe, provoquant gaspillage et pénurie
L’un des principaux problèmes avec les “énergies vertes” réside dans son incapacité à stocker de l’électricité. En effet, les panneaux solaires ou les éoliennes ne produisent pas d’énergie en continu. À certains moments, le manque de vent ne permet plus d’actionner les pales des hélices et le manque de soleil ne nourrit plus les panneaux. Les partisans du mix électrique 100% “renouvelable” ont en général deux réponses lorsque l’on pointe du doigt cette faiblesse. Tout d’abord, certains écologistes mettent en avant la sobriété énergétique. Selon eux, nous devons accepter de nous passer d’une partie de notre consommation d’énergie. Mais dans le système capitaliste tel qu’il est actuellement, qui sont les personnes qui devront se passer de cette énergie et qui pourra en profiter pleinement? Nous retombons ici dans les travers de l’écologie bourgeoise où le prolétariat doit à lui seul faire tous les efforts du monde pour baisser son empreinte carbone. L’autre argument employé est le pari sur l’avenir et sur la confiance placée dans l’avancement technique. Effectivement, la technique de la conversion d’énergie en gaz (power to gas) pourrait être envisageable. Mais cette méthode n’a encore jamais pu être réalisée à grande échelle et il s’agit d’une technologie qui est encore au stade expérimental. Cet argument du pari sur l’avenir est paradoxal de la part d’écologistes antinucléaires. Ces derniers refusent cet argument lorsqu’il est utilisé pour la gestion des déchets (méthode qui est d’ailleurs en application concrète) ou comme nous le verrons plus tard, avec les centrales à fusion nucléaire. Au regard de ce développement, il faut être clair sur le sujet: avec nos technologies actuelles, il est impossible d’avoir un mix électrique 100% renouvelable, d’autant plus qu’on ne prend pas en compte les aspirations légitimes des populations qui veulent aussi développer leur niveau de vie matérielle. L’urgence climatique que nous connaissons actuellement ne permet pas de baser nos espoirs sur une technologie encore au stade expérimental, qui de toute façon conserverait les défauts énoncés ci-dessus. La production électrique, grâce aux centrales à fission nucléaire, est actuellement nécessaire si nous voulons ralentir le réchauffement climatique. Cependant, le nucléaire peut être accompagné de certaines techniques également décarbonées. L’énergie non-nucléaire qui apparaît comme une des plus intéressantes est celle produite par barrage hydraulique. Néanmoins, l’installation de ces grands barrages est contrainte par l’environnement géologique et topographique d’une zone. Il est en effet inimaginable de construire des retenues d’eau sans d’importants reliefs. Également, la mise en place de ces structures hydrauliques a un fort impact environnemental et mène souvent à l’inondation d’une vallée entière (entraînant donc la destruction de terres arables et le déplacement de populations). Au final, nous pouvons imaginer une place pour l’énergie hydraulique dans le mix électrique national aux côtés de l’énergie nucléaire (largement majoritaire dans ce mix), mais non pas une production basée sur cette seule modalité.
L’énergie, un marché comme un autre?
Dans une conception libérale de l’écologie, la production d’électricité doit être un marché comme les autres où le consommateur choisirait l’électricité la plus profitable pour lui et pour l’environnement. Cette vision est actuellement bloquée par la place que prend le nucléaire dans le mix électrique français. Néanmoins, on voit que depuis 1993, la production d’électricité d’origine nucléaire baisse d’année en année. Cette diminution de la place de cette énergie est en grande partie causée par les campagnes de certaines ONG et par certaines décisions gouvernementales entretenant l’ignorance sur le sujet du nucléaire civil. En effet, l’état subventionne les transitions vers des énergies renouvelables malgré le fait que quasiment 90% de l’électricité en France est décarbonée. Nous sommes clairement face à une situation où le gouvernement tente de favoriser l’ouverture d’un nouveau marché, et ce au détriment de la lutte contre le réchauffement climatique. Concernant les ONG, on constate d’ailleurs qu’à la fin de plusieurs articles de Greenpeace, hostile au nucléaire, un lien renvoie vers les différents fournisseurs d’énergie “verte”. Cet exemple peut paraître anodin mais il contribue à dénigrer les bienfaits écologiques du nucléaire afin de promouvoir une concurrence teintée de vert. Sans aller jusqu’à dire que les personnes se revendiquant d’un écologisme antinucléaire sont toutes libérales dans l’âme, il faut bien reconnaître que, indirectement ou non, elles font le jeu des capitalistes.
À Reconstruction Communiste, nous défendons le fait que l’énergie est un bien commun et qu’à ce titre elle doit échapper aux logiques capitalistiques. Il en va de même pour l’écologie: la lutte contre le réchauffement climatique, la pollution ou le gaspillage des ressources ne pourront déployer leur plein potentiel qu’au sein d’une société socialiste libérée des intérêts marchands.
Une révolution technologique proche, les réacteurs à fusion nucléaire
Même si les centrales nucléaires fonctionnant sur le principe de la fission se révèlent extrêmement efficaces pour produire une électricité décarbonée, les avancées technologiques actuelles permettent d’entrevoir une véritable révolution dans la création d’énergie. Nous faisons ici référence aux récentes avancées faites dans la maîtrise de la fusion nucléaire.
Histoire de la recherche
Si la recherche sur le principe de fusion atomique remonte aux années 1930, il faut attendre l’après-guerre pour que des chercheurs s’intéressent véritablement à l’application concrète de ce principe théorique. À partir de ce moment, toutes les grandes nations industrielles tentent de mettre au point des dispositifs permettant de réunir les conditions nécessaires à la fusion atomique. En effet, pour permettre la rencontre de deux atomes sans que ces derniers ne se repoussent mutuellement, il faut parvenir à maintenir une température de plusieurs dizaines, voire centaines de millions de degrés. À cette température, la matière passe dans un nouvel état: celui du plasma. C’est sous cette forme de la matière que la fusion atomique est possible. Néanmoins, il faut des installations très spécifiques pour maintenir une telle température et un tel état de la matière. C’est sur cette question que les différents centres de recherche travaillants sur la fusion nucléaire se penchèrent rapidement.
En 1968, en URSS, des chercheurs de l’institut Kourtchatov parviennent à mettre en place une chambre de confinement parvenant à contenir un plasma d’une température de plus de 10 millions de degrés. À la même époque, les scientifiques américains ne parvenaient pas encore à dépasser le million de degrés. Cette démonstration scientifique eut des répercussions considérables et tous les centres travaillants sur la fusion nucléaire se tournèrent vers les dispositifs de confinement Tokamak. Le principe de ces machines, élaboré au cours des années 1950-60 en URSS, est encore au cœur des dispositifs utilisés aujourd’hui. Par exemple, l’ITER, le réacteur expérimental international, utilise toujours une chambre de confinement de type Tokamak, aux dimensions monumentales.
Durant les décennies qui suivirent la mise au point du Tokamak, la recherche scientifique tenta d’augmenter le confinement afin de contenir de plus grandes températures et de stabiliser le plasma. En 2020, la Chine et la Corée du sud présentent deux expériences réussies de fusion nucléaire: la Corée a par exemple maintenu un plasma à une température de 100 millions de degrés durant 20 secondes.
Ces deux expériences marquent une grande avancée dans le domaine de la fusion nucléaire et leurs données vont permettre d’améliorer grandement les futurs projets. Parmi ces programmes, on retrouve le projet ITER mis en place à partir de 2006 dans le cadre d’une coordination internationale entre 35 pays. Le réacteur à fusion nucléaire de l’ITER devrait avoir ses premiers résultats en 2025. L’objectif de ce projet est de parvenir à produire une énergie de 500 mégaWatt pour 50 mégaWatt reçus, soit un rendement de 1000 pourcent! Les nombreuses avancées faites dans le domaine de la fusion permettent aujourd’hui de placer l’utilisation industrielle de ces réacteurs à la moitié du XXIème siècle.
Principe de la fusion nucléaire
Réunir de manière artificielle les conditions nécessaires à la fusion est une entreprise extrêmement complexe. Mieux comprendre les principes physiques en œuvre dans les différents dispositifs expérimentaux permet de mieux cerner l’intérêt et les limitations physiques du phénomène.
Pour faire simple, le but de l’opération est d’obliger des noyaux atomiques à se rencontrer malgré leur répulsion mutuelle et ainsi parvenir à les assembler afin de créer un noyau plus lourd. Cette opération dégage une énergie colossale, bien plus importante que l’énergie produite au moment d’une fission atomique. Pour aller au-delà de la répulsion naturelle des atomes, il faut changer l’état de la matière qui les compose afin d’atteindre l’état de plasma. Cet état de la matière est obtenu sous des températures très importantes, et plus les atomes composant la matière sont lourds, plus il faut monter dans des degrés hauts. Sous cet état, les particules composant les atomes sont constamment en mouvement et sont justement susceptibles de se rencontrer. Lorsque l’on parle de chambre de confinement magnétique, on fait référence au dispositif mis en place afin d’alimenter et de contenir le plasma. Les deux composants utilisés lors de la fusion nucléaire sont le deutérium (eau lourde) et le tritium (élément radioactif). C’est la rencontre et la fusion de ces deux atomes qui est à l’origine de l’énergie produite dans les futures centrales.
Bien que nous ayons ici simplifié à l’extrême le processus utilisé pour fusionner des atomes, on comprend vite les difficultés que l’on peut rencontrer pour réunir les prérequis d’une fusion atomique. C’est justement la complexité de cette opération qui sécurise à ce point la fusion. L’emballement nucléaire n’est en effet pas possible, et en cas de détérioration du confinement ou d’intrusion d’éléments extérieurs, le processus s’arrête et la température du plasma redescend instantanément.
Avantages des réacteurs à fusion nucléaire
À partir de cet instant, la question légitime que nous pouvons nous poser concerne l’utilisation concrète et les avantages réels de ce type de réacteur par rapport aux anciens qui se sont améliorés tout au long de la seconde moitié du XXème siècle. Il peut être déstabilisant de constater à quel point la fusion nucléaire semble résoudre les différents problèmes que nous rencontrons actuellement lorsqu’il s’agit de production d’énergie. Tout comme les centrales à fission nucléaire, la production d’électricité par fusion est décarbonée. En ce sens, les futurs complexes ne rejetterons que de l’hydrogène, de l’hélium et du tritium. Ce dernier est un composant radioactif de haute activité mais de vie courte (quelques centaines de jours maximum pour l’élimination des dernières traces de radioactivité). Néanmoins, il est également l’un des principaux combustibles utilisés pour la fusion nucléaire. Ainsi les réacteurs, une fois lancés, auraient la capacité de s’auto-alimenter durant un certain temps. Cet avantage est non négligeable et il règle en partie le problème des déchets nucléaires, même si la perte neutronique du tritium l’oblige à être traité avec des éléments radioactifs. Le tritium n’est également pas réutilisable à 100% et une petite partie de celui-ci devra être stockée en attendant que sa radioactivité baisse. L’intérêt de ce composant est justement sa durée de vie extrêmement courte. En cas d’arrêt total d’une centrale, la demi-vie du tritium est de 12,3 ans; au bout de cette période, la moitié des noyaux radioactifs du combustible se désintègrent.
Le tritium possède encore de nombreux avantages sur lesquels il nous faut nous pencher. Tout d’abord, la quantité de combustible utilisé est de l’ordre du gramme. Cela permet de diminuer les risques de fuite de matière radioactive mais également les risques de forte exposition aux combustibles. Ce matériau n’est pas exploitable à l’état naturel (il n’est quasiment pas présent dans l’environnement). Ainsi, ce composant sera synthétisé en laboratoire plutôt qu’arraché à la terre dans des mines de métaux rares en exploitant le prolétariat international. Nous l’avions également mentionné plus tôt dans l’article, en raison des conditions extrêmement strictes que requiert la fusion, le risque d’accident nucléaire majeur est quasiment inexistant. En effet, le principal danger des réacteurs à fission nucléaire est l’emballement et la réaction en chaîne. Ici, en cas de défaillance technique, le plasma refroidit, les isotopes ralentissent et la réaction nucléaire n’est alors plus possible.
Ces recherches débutées au début du siècle dernier portent aujourd’hui leurs fruits et laissent entrevoir une solution concrète pour avoir une production électrique massive, fiable et décarbonée. Cependant, nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre patiemment que ces centrales de nouvelle génération soient en état de marche pour faire le choix d’une production énergétique décarbonée. Si l’évolution technologique nous donne un horizon à atteindre, les mesures concrètes pour ralentir le réchauffement climatique doivent être prises dès à présent. Le développement des centrales à fission reste au cœur de ces mesures et la place de cette production dans le mix énergétique français doit se renforcer et peut être adjointe d’un renforcement de l’électricité d’origine hydraulique.
Dans cet article, nous avons tenté de dresser une vue d’ensemble du nucléaire civil et de son utilisation dans une pensée écologique et sociale plus globale. Néanmoins, certains aspects ont été abordés de façon superficielle et mériteraient un développement propre. La démarche que nous promouvons repose sur des bases scientifiques. Bien qu’il s’agisse d’un débat très clivant, nous avons essayé d’écarter les préjugés et les craintes irrationnelles afin de baser notre argumentation sur les connaissances de notre temps.
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