Le mode de production capitaliste : Bourgeoisie et moyens de production

Aux origines de la domination économique et politique de la bourgeoisie

Dans le cadre du mode de production capitaliste, la bourgeoisie est la classe dominante et dirigeante car elle détient les principaux moyens de production. La bourgeoisie est née au sein des couches opprimées de l’ancienne société féodale. Ces sociétés étaient caractérisées par le fait que le producteur était généralement propriétaire de petits moyens de production peu puissants et que la production se faisait essentiellement pour la consommation directe, soit du producteur et de sa famille, soit du seigneur féodal membre de la noblesse ou du clergé. Si l’échange de marchandises et le fait de travailler pour le compte d’autrui pour un salaire existaient bien dans ces sociétés, c’était de façon marginale. La production était alors peu développée et la société présentait une certaine stabilité.

Cependant, les premiers bourgeois ont commencé à regrouper des moyens de production entre leurs mains pour faire travailler par leur biais non des travailleurs isolés, mais plusieurs travailleurs en coopération et se divisant le travail afin de fabriquer un même produit. Ce produit était ensuite pour la première fois la propriété non de ses producteurs mais du propriétaire des moyens de production n’ayant même pas participé à sa confection. Ce produit était fabriqué non pour la consommation directe du producteur ou du propriétaire mais en vue de l’échange. Du fait de son efficacité supérieure à celle de la production individuelle, cette nouvelle façon de produire a connu une expansion rapide et la production en vue de l’échange est progressivement devenue la norme. Le commerce avec l’Asie, la colonisation de l’Amérique, l’exploitation de l’Afrique, l’explosion des moyens d’échange ont fait entrer l’espèce humaine dans « le temps du monde fini » et permis une expansion des marchés sans précédent.

Cette manière nouvelle de produire a permis de décupler la puissance économique de la bourgeoisie. Cependant, cette dernière se trouvait bridée par toutes les entraves de la société d’ancien régime, comme par exemple les corporations et compagnonnages au sein desquels le travail était encadré par des règles strictes, les privilèges de la noblesse et du clergé, l’organisation du territoire en provinces disposant de privilèges locaux et de droits de douane internes. De plus, si la bourgeoisie poursuivait son ascension inexorable dans la sphère économique, elle était privée du pouvoir politique encore aux mains des ordres privilégiés. La bourgeoisie a alors dû mener une lutte idéologique et politique constante contre la société d’ancien régime, dont l’aboutissement a été les révolutions bourgeoises anglaises, américaines et françaises. C’est en France que la révolution bourgeoise a été le plus loin et qu’elle a pris sa forme la plus spectaculaire.

En effet, les idées d’une époque étant le produit de la manière dont les hommes vivent concrètement à cette époque, et plus particulièrement de la manière dont ils produisent et reproduisent leur vie matérielle (dit vulgairement : l’économie), le XVIIIème siècle a été marqué en France par la lutte des intellectuels bourgeois contre toutes les institutions d’ancien régime. Pour les philosophes des Lumières, toutes les constructions humaines, qu’elles soient économiques, politiques, juridiques ou autres, ne pouvaient être légitimes que si elles étaient conformes à « la Raison ».

La grande Révolution Française de 1789 balaya toutes ces institutions dans un grand souffle d’extase révolutionnaire. On pense notamment à l’abolition des privilèges du clergé et de la noblesse, au remplacement des anciennes provinces par un découpage du territoire en départements, ou encore à l’abolition des corporations et à la proclamation de la liberté du travail par le décret d’Alladre de 1791.

C’est alors la généralisation de la division du travail au sein de la fabrique et dans la société toute entière. Afin de répondre aux besoins d’une demande sans cesse croissante, et suivant une logique concurrentielle entre les différentes entreprises capitalistes, les forces productives se développent. À la coopération dans un atelier ont succédé la manufacture, puis enfin la grande industrie grâce à la machine à vapeur, au sein de laquelle des centaines voire des milliers d’ouvriers travaillaient et n’effectuaient plus que des gestes simplifiés à l’extrême et ne nécessitant aucune qualification particulière.

On constate donc que la bourgeoise, issue des anciennes classes opprimées, s’est graduellement emparée des moyens de production et de la souveraineté politique à l’échelle mondiale. Plus que ça, elle a façonné une société entière à son image.

Le capitalisme, mode de production de la bourgeoisie

Un mode de production est une combinaison de facteurs de production, c’est-à-dire l’ensemble des éléments matériels nécessaires à la production auxquels s’ajoutent la force de travail, et de rapports de production, c’est-à-dire les relations réciproques qu’entretiennent les différents groupes humains en raison de leur position dans la production, par exemple leur rapport à la propriété des moyens de production. L’histoire humaine a été marquée par une succussion de modes de production dont l’aboutissement a été, comme nous venons de la voir, l’avènement du capitalisme. C’est ce mode de production spécifique dans lequel nous vivons aujourd’hui, et que nous souhaitons dépasser, que nous allons maintenant étudier plus en détail.

Le capitalisme est caractérisé par le fait que la bourgeoisie possède les moyens de production, lesquels sont nécessaires à la reproduction de la vie humaine. Par exemple, la bourgeoisie possède les usines permettant de produire les vêtements, ou les terres et machines agricoles qui permettent de produire de la nourriture. De par cette position dans les rapports de production, les bourgeois sont en mesure de s’emparer du fruit du travail des salariés, ils sont en mesure d’aliéner la force de travail des prolétaires, cette large classe sociale formée par les travailleurs ne possédant aucun moyen de production et forcés de vendre leur force de travail pour survivre. Cela signifie que le capitaliste va acheter la force de travail du prolétaire, qui ne lui appartiendra alors plus, et l’utiliser pour actionner les moyens de production dont il est propriétaire.

Afin de comprendre le but de cette opération, il nous est nécessaire de faire un détour théorique. En effet, il nous faut comprendre que tout bien ou service possède une valeur d’usage, c’est-à-dire l’utilité de ce bien ou service, sa capacité à répondre à un besoin. Par exemple, des vêtements sont utiles pour se vêtir.

Cependant, dans une société marchande où l’échange est généralisé, les biens ne sont pas produits directement dans le but de répondre aux besoins du producteur, mais dans le but d’être échangés contre d’autres biens ou services. Un bien va alors posséder une valeur d’échange, qui représente la quantité relative d’autres biens qu’il est possible d’obtenir en l’échangeant. C’est cette valeur d’échange qui s’exprime dans le prix d’une marchandise. Dans la société capitaliste, la valeur d’échange tend à être égale à la quantité de travail incorporée dans un bien (nous parlons ici de travail social moyen, c’est-à-dire du temps qu’il faut en moyenne dans une société donnée à un moment donné avec une habileté et une intensité du travail moyenne pour produire cette marchandise). Pour illustrer notre propos, nous pouvons prendre l’exemple d’une voiture qui nécessite en moyenne trente heures de travail pour être fabriquée, et elle pourra alors être échangée (par l’intermédiaire de la monnaie, le troc n’étant plus très populaire aujourd’hui) contre trois smartphones nécessitants chacun dix heures de travail. Si du fait d’une avancée technologique la même voiture peut être fabriquée avec vingt heures de travail, alors elle ne pourra plus être échangée que contre deux smartphones du même type.

Le capitaliste achète la force de travail du prolétaire à un certain prix, qui correspond à l’origine au minimum nécessaire à la survie matérielle du travailleur et de sa famille, on parle donc de valeur d’échange du travail ; le travail devient une marchandise. Cependant, la valeur d’usage de ce travail pour le capitaliste sera supérieure à sa valeur d’échange, c’est-à-dire que ce dernier fera travailler l’ouvrier plus longtemps que le temps nécessaire à produire l’équivalent de son salaire. Pour illustrer notre propos, reprenons une voiture qui nécessite trente heures de travail pour être fabriquée. En vingt-cinq heures de travail, l’ouvrier aura produit l’équivalent de son salaire et de la quantité de machines et de matières premières consommées pour produire cette voiture, mais le capitaliste va le faire travailler cinq heures de plus sans payer ce travail, afin de réaliser un profit. C’est par l’incorporation de ce sur-travail non payé dans la valeur des marchandises que le capitaliste va réaliser une plus-value lors de la vente, laquelle permet la reproduction et l’augmentation du capital investi dans la production. Pour faire simple, la capitaliste qui possède une usine pourra utiliser cet excédent formé par ce travail non payé et extorqué au travailleur pour remplacer les machines ou encore en acheter de nouvelles plus performantes.

De ce fait, si on imagine que les moyens de production n’évoluent pas et que le capitaliste ne fait pas l’acquisition de machines plus performantes, le salaire réel des ouvriers reste le seul capital qu’il est possible de baisser sans affecter la production. Le capitaliste aura donc intérêt à le maintenir au plus bas afin de dégager une plus-value maximale et en vue de survivre face à la concurrence, soit en baissant directement le salaire, soit en augmentant l’intensité du travail. Il est cependant possible pour le salaire réel d’augmenter sous la pression de la lutte des ouvriers. La société capitaliste est donc traversée par un antagonisme irréductible entre le capital et le travail dont les intérêts demeurent à jamais opposés et irréconciliables.

Les contradictions internes au mode de production capitaliste

En plus de cet antagonisme fondamental, le capitalisme est porteur de contradictions internes qui le rendent impropre à assurer le développement des sociétés humaines.

Une fois débarrassé de toutes les entraves féodales, ce mode de production a permis l’émergence de la grande industrie et un développement des forces productives et du commerce inédit dans l’histoire de l’humanité. Cependant, il arrive un moment où l’anarchie qui règne dans la production, c’est-à-dire l’absence de planification et la concurrence acharnée entre capitalistes, autrefois vectrices de progrès, devient la plus grande entrave au développement des forces productives. En effet, les capitalistes ont sans cesse besoin d’augmenter la productivité du travail pour ne pas être évincés par leurs concurrents, ce qui se fait en augmentant le capital fixe investi dans la production, c’est-à-dire par l’introduction toujours plus importante de machines dans les usines. Or, comme nous l’avons vu, la source du profit est le sur-travail non payé par le capitaliste. Comme la part du capital fixe augmente par rapport à celle du travail dans l’ensemble du capital investi, le taux du profit, qui est réalisé uniquement sur le travail de l’ouvrier, tend à être de plus en plus faible.

Bien sûr, la baisse du taux de profit est une tendance, c’est-à-dire qu’elle ne fait pas littéralement loi et des contre-tendances existent dans le monde économique, de façons différentes : soit en accentuant le taux de plus-value (comme l’augmentation de la productivité des salariés, la hausse du chômage permettant de peser à la baisse sur les salaires, la stagnation voire la compression des salaires, etc.), soit en baissant la valeur des machines et des matières premières (concentration des entreprises pour bénéficier d’économies d’échelle, recherche de nouvelles sources de matières premières moins chères, profiter de certaines périodes pendant lesquelles certaines marchandises sont moins chères pour les acheter en plus grande quantité et augmenter la capacité de production d’une usine, etc.).

En outre, ce mécanisme de la concurrence amène les capitalistes à accroître le capital et à perfectionner la production afin de produire dans des quantités toujours plus importantes, alors que la croissance des marchés, quant à elle, obéit à des lois toutes autres et ne peut suivre ce rythme. Ce phénomène conduit nécessairement et de façon périodique à des crises de surproduction. Dans ces périodes de crise, les produits sont abondants, justement trop abondants pour que les capitalistes puissent les vendre à un prix leur permettant de réaliser un profit. Du fait de ce manque de débouchés pour la production, les produits sont massivement détruits ou laissés à dépérir. Les moyens de productions sont alors progressivement mis à l’arrêt, le chômage explose, ce qui rend les produits encore plus invendables, entraînant toute l’économie dans un cercle vicieux. On se trouve alors face à un spectacle d’une absurdité inédite dans l’histoire humaine, qu’Engels décrivait en ces termes dans son ouvrage Socialisme utopique et socialisme scientifique :

« Moyens de productions, moyens de subsistance, travailleurs disponibles, tous les éléments de la production et de la richesse abondent, mais comme dit Fourier, l’abondance devient la source de la pénurie et de la misère parce que c’est elle qui empêche les moyens de production et de subsistance de se transformer en capital ».

Par la suite, la production redémarre et accélère à nouveau jusqu’à arriver inéluctablement à une crise du même type.

Comme nous venons de le voir, le capitalisme est un mode de production que ses contradictions rendent incapable d’assurer un développement économique continu et harmonieux. De plus, il engendre la division de la société en deux classes ennemies qui s’affrontent dans une guerre plus ou moins larvée. Dans un prochain article, nous nous pencherons sur la solution permettant de résoudre ces antagonismes et sur la classe révolutionnaire : le prolétariat.

Il nous faut cependant préciser que notre article n’a vocation à être qu’une rapide synthèse de certains grands axes de la pensée marxiste, dans l’objectif de les rendre les plus accessibles possible. Nous n’avons donc pas la prétention d’avoir fait ici une démonstration scientifique avec toute la rigueur que cela suppose. Pour approfondir les sujets que nous venons d’aborder, nous conseillons à nos lecteurs de se tourner vers les ouvrages qui ont inspiré cet article : Socialisme utopique et socialisme scientifique d’Engels en premier lieu, puis Le manifeste du parti communiste de Marx et Engels, ou encore, pour la partie économique, Salaire, prix et profit de Marx, et l’excellente synthèse faite dans l’introduction de Des mains qui pensent de Louis Layrac-Marbézy et Luca Rizzo.