LGBTI+ et communisme, la longue histoire

Le marxisme est un moteur du progrès social et démocratique. L’histoire du mouvement communiste est intimement liée aux revendications sociales avant-gardistes de tous types : anti-racisme, féminisme et même écologique.1

Cependant, si ces combats ont été menés avec intensité par les militantes et militants et par les États socialistes, on ne peut parler de réussite totale. Les conditions matérielles ont fait que ces luttes ont eu un parcours en dents de scie. L’un des exemples les plus parlants est celui du rapport entre LGBTI+ (pour Lesbien, Gay, Bisexualité, Transsexualité, Intersexe et plus) et communisme. Nous parlerons ici particulièrement des homosexuels en raison du manque de données sur les autres sexes, genres, sexualités et identités à une époque qui nie toute complexité en dehors des canons hérités des religions.

La première référence d’une prise de position marxiste pour les homosexuels date de 1898, quand un des plus fameux leaders du SPD,2 August Bebel, prend la parole au parlement de l’Empire Allemand pour la modification de la législation sur l’emprisonnement des personnes considérées comme « sodomites ». Ce discours est la première prise de position politique de l’histoire pour la cause homosexuelle en public, dans un Parlement. Cette ligne progressiste perdure même après la division SPD et KPD,3 les deux partis organisant des campagnes communes pour la suppression de l’article 175 condamnant les homosexuels pour leurs pratiques. L’arrivée au pouvoir des nazis en 1933 vient interrompre ce combat. La présence d’homosexuels de haut rang dans la SA4 pousse le KPD à adopter une ligne décrivant cette sexualité comme partie intégrante du nazisme et du capitalisme pourrissant. En effet, au même moment, un retournement de situation opère en URSS sur la même question.

Dans un premier temps, la révolution bolchevique avait dépénalisé les relations entre personnes de même sexe. Dès 1917, l’application est effective, mais seulement dans quelques républiques soviétiques où l’atmosphère est à la tolérance pour l’homosexualité. À l’inverse, des lois sont passées dans les républiques d’Asie Centrale contre les transsexuels et les travestis au nom de la lutte contre « les survivances de coutumes primitives ». En effet, il existait dans ces régions des traditions de travestissement en femmes pour les jeunes garçons s’adonnant à la danse. Globalement, l’atmosphère de libération de la parole et des possibilités d’expérimentations ouvre la voie à la recherche scientifique sur les origines la sexualité, dont l’origine de l’homosexualité. Deux écoles s’affrontent alors : les tenants du déterminisme social et ceux des causes biologiques.5

Avec les années 1930, l’état de grâce relatif prend fin pour les hommes homosexuels : ils sont à nouveau condamnés par la loi et l’homosexualité est considérée comme une maladie mentale, et il faudra attendre la fin de l’URSS pour voir abroger ces lois répressives. Pour les historiens, l’explication de ce brusque changement de position n’est toujours pas claire. Il existe donc plusieurs théories sur le sujet. La première serait que l’équipe dirigeante avec Staline à sa tête, ne se souciant guère de la question LGBT a préféré faire marche arrière sur la question. La seconde serait l’assimilation des homosexuels aux « contre-révolutionnaires » qu’ils soient fascistes, capitalistes ou trotskistes. La question n’étant toujours pas tirée au clair, chacun est libre d’interpréter ou d’enquêter sur le phénomène à partir des informations dont nous disposons actuellement.

Mais cela n’a pas empêché les partis communistes de suivre dans chaque pays une ligne différente.

Ainsi, si en Yougoslavie comme en Chine maoïste les homosexuels sont durement traqués, certains pays du bloc socialistes sont à la pointe de la lutte LGBT. L’exemple le plus probant est celui de la République Démocratique Allemande ou RDA.

Dès la fin des années 1940, les militants et scientifiques Kurt Freund et Rudolf Klimmer travaillent librement à l’étude des genres, de la sexualité dans le pays, et militent activement à la cause homosexuelle. Leurs travaux amènent à des conclusions mettant en avant des causes génétiques à la sexualité humaine. Partant de ces conclusions, des pays du bloc socialiste décident d’abroger les lois pénales condamnant l’homosexualité : la Pologne en 1947, puis la Tchécoslovaquie en 1961. La RDA va plus loin.

Si dans les faits elle ne poursuivait plus les homosexuels et homosexuelles depuis les années 1950, elle les décriminalise totalement en 1968, soit un an avant la RFA, son homologue de l’Ouest. Le SED (parti socialiste unifié d’Allemagne, qui dirigeait la RDA) adopte la ligne politique et stratégique suivante : faire interdire la discrimination sur le critère de l’orientation sexuelle. Des campagnes militantes sont organisées dans le pays dans ce sens. Les organisations LGBT sont même autorisées à s’organiser librement grâce à des fonds d’État. Dans les années 1980, la première boîte de nuit gay financée par l’État voit le jour, et c’est aussi le début d’un cinéma militant qui traite de thèmes comme celui de l’acceptation de sa sexualité. Ces entreprises soutenues par l’État sont aussi le moyen pour la RDA de contrôler une communauté dont elle se méfie. Ainsi en parallèle de ces initiatives, elle réprime les manifestations ou défilés de rue organisés par les associations. Cette dualité vient mourir en 1990, en même temps que s’éteint l’Allemagne de l’Est.

Le parcours historique conflictuel entre les aspirations de militants et militantes de la base, les initiatives étatiques officielles, la répulsion voire la répression, fait qu’aujourd’hui le mouvement communiste est divisé sur la question LGBTI+. Aujourd’hui, alors que brille l’absence de ligne internationale commune et que s’étalent les divisions, les partis et organisations communistes suivent chacun leur chemin. Aux Philippines, la guérilla de la NPA6 est à l’avant-garde sur cette question, dans un pays où le gouvernement réactionnaire comme les islamistes répriment les minorités sexuelles. A contrario, des partis se réclamant du communisme, comme celui de Russie, souscrivent et votent des mesures de répression envers les homosexuels dans leur pays.

En France, nous pouvons trouver de tout. Dans le milieu trotskiste, la question LGBTI+ est globalement traitée avec attention, allant jusqu’à l’adhésion aux thèses postmodernes7. Le mouvement Marxiste-Léniniste, quant à lui, souffre de son héritage houleux. Un grand nombre de groupuscules souffrent de ce que les anglo-saxons appellent « tankisme »8. Un grand nombre de groupuscules sectaires rejettent donc les homosexuels et homosexuelles reprenant les arguments des années 30 pointant une « dégénérescence » bourgeoise. Nous retrouvons aussi ces problèmes au sein de partis comme le PCF ou le PRCF malgré une ligne officielle pro-LGBT.9 Les partis réformistes comme le PCF et le NPA adoptent volontiers de politiques clientélistes à l’égard des LGBTI+ pour gagner à eux des votes.

À regarder le panorama des organisations communistes en France, nous pouvons voir que pour les organisations adoptant une ligne de soutien actif aux luttes LGBTI+, de nombreuses contradictions les secouent sur la question. L’absence d’une ligne communiste claire et proprement issue d’une réflexion théorique marxiste-léniniste expose les organisations à des luttes entre les influences postmodernes issues des centres intellectuels comme le sont les facultés, et la ligne que je pourrais dire « traditionnelle » des marxistes plaçant la lutte des classes comme moteur pour une émancipation générale des individus. Cette contradiction devra être dépassée sous peine de fragiliser l’organisation concernée.

Reconstruction Communiste soutient les luttes démocratiques et sociales qui sont celles des LGBTI+. Nous n’avons pas encore de position élaborée sur le sujet, cela nécessitera une véritable étude et une réflexion théorique afin d’éviter de souscrire simplement à une ligne déjà existante. Les communistes doivent proposer une véritable solution politique à l’oppression subie par les minorités sexuelles.

Nous devons critiquer inlassablement le Pink Washing de la bourgeoisie qui essaie de s’acheter une image « progressiste » pour cacher ses attaques contre le prolétariat dans son entièreté quels que soient le genre et l’orientation sexuelle. La question de la politisation des militants LGBTI+ est aussi essentielle dans un contexte où nos adversaires se délectent de la division de nos luttes.

Nous savons que cette question est essentielle de nos jours, elle doit être de nos combats. Il faut lui donner la place qu’elle mérite dans une perspective marxiste. N’oublions jamais que les communistes doivent être les porteurs du progrès social et démocratique.


1  Voir notre formation

2  Parti social-démocrate d’Allemagne

3  Parti communiste d’Allemagne

4  Sections d’Assauts, organisation fasciste, bras armée du parti nazi, ancêtre de la SS, ils sont écartés à l’occasion de la Nuit des Longs couteaux en 1934. L’assassinat des chefs de la SA permet à Hitler de changer sa ligne envers les homosexuels de la tolérance à la persécution.

5  Je ne peux développer ici l’histoire de ces importants débats mais je vous invite à consulter l’article réalisé par Leslie Feinberg pour Workers World en 2004. (https://www.workers.org/ww/2004/lgbtseries1007.php)

6  Nouvelle Armée populaire, la branche armée du Parti communiste des Philippines (Marxiste-Léniniste-Maoïste)

Philosophie analysant la société selon les rapports de pouvoir, de personnalisation et insistant sur la construction sociale et l’expérience subjective.

8  Culte folklorique de l’héritage socialiste. Il se cantonne souvent à l’adoration de l’ordre, du militarisme, du virilisme et bien souvent d’un nationalisme couplé à diverses positions réactionnaires. Il est une réaction conservatrice face aux critiques des expériences socialistes.

9 Dans le cas du PRCF, leurs positions sont ambiguës, particulièrement chez bon nombre de militants de base.