Les 5 ans de Reconstruction Communiste, bilan et perspectives

Reconstruction Communiste est née il y a maintenant 5 ans. De ce temps écoulé, nous tirons un grand nombre d’expériences, de leçons comme de désillusions. En faire une analyse publique n’est pas une tâche commune dans le microcosme politique dans lequel nous évoluons1. Cependant, il nous paraît nécessaire de réaliser ce bilan d’étape afin d’analyser les errements par lesquels notre jeune organisation a pu passer et également dissiper des idées fausses à notre sujet. Nous pensons toutefois que les considérations ci-dessous pourront elles-mêmes être améliorées, critiquées ou réfutées à l’épreuve de la pratique, du temps long ou du débat d’idées.

Origines

Tout d’abord et pour recontextualiser, il y a derrière la création de notre organisation, et c’est de tradition dans notre milieu, une scission au sein du ROCML2. Cette organisation dont le nom ne doit pas évoquer grand chose à la majorité des lecteurs fut une tentative d’unifier les marxistes-léninistes français dans une seule organisation qui servirait ainsi de base pour l’émergence d’un futur parti communiste. Ce processus fut un échec, en raison de l’esprit de chapelle et des tensions régnant entre les différentes organisations ML, et le résultat fut un agrégat de militants séparés par un fossé générationnel et militant. D’un côté, une vieille garde issue des premières organisations communistes anti-révisionnistes en France, et de l’autre, une nouvelle génération de militants, pour la plupart nés au moment ou après la chute de l’Union Soviétique, au référentiel et aux aspirations fondamentalement différentes. L’esprit sectaire et le dogmatisme dont faisaient preuve l’ancienne génération étaient aussi forts que l’avait été leur détermination à conserver une ligne juste parmi les débâcles révisionnistes, gauchistes et liquidationnistes qu’ils avaient observés tout du long de leurs vies de luttes. Dans cette organisation groupusculaire aux objectifs et aux délimitations mal définis, le poids des individualités pesait d’autant plus que les cadres démocratiques manquaient. 

Pour les militants qui allaient plus tard former Reconstruction Communiste, ce fut la rencontre avec le PML-RC3 qui transforma la critique de l’état du ROCML en volonté de proposer autre chose. Cette organisation, avec laquelle nous avons aujourd’hui pris nos distances, nous a marquée car il s’agissait d’une organisation récente, disciplinée, dotée d’un bon réseau d’organisations de masses et qui avait su dépasser le stade micro-groupusculaire dans lequel semblait plongé indéfiniment le mouvement communiste anti-révisionniste français. Bien sûr, avec du recul, il y avait déjà de nombreuses choses critiquables à propos de leur organisation, bien qu’ils n’avaient à l’époque pas encore connu la dérive idéologique que l’on peut constater aujourd’hui.

Une clarification s’impose toutefois : contrairement à ce qui nous est souvent reproché, RC n’a jamais été la section française du PML. Nous avons entretenu des liens avec cette organisation lors de nos premières années mais notre ligne, notre orientation ou nos positions politiques n’ont jamais été définies par rapport à eux. 

Cette rencontre couplée à une crise interne au ROCML liée au manque de démocratie interne allait accoucher d’une séparation en trois de l’organisation. Ceux qui allaient continuer le ROCML, ceux qui rejoignaient le PCOF4 et enfin ceux qui allaient devenir quelques mois plus tard RC. Que l’on soit bien clair, le ROCML à l’époque n’organisait pas plus d’une quinzaine de personnes et RC à sa création était composée de quatre militants dans la petite ville d’Albi. Bien plus que d’offrir une nouvelle proposition idéologique, notre volonté initiale était de nous placer en rupture avec ce qui était pour nous un milieu communiste folklorique et moribond. Pour autant, aussi pétris de bonne volonté que nous étions, un tel état micro-groupusculaire ainsi que le manque de transmission des savoir-faire militants entrainèrent leurs lot d’errements et d’erreurs de jeunesse. En faire la liste et le détail serait un exercice certes ludique mais pas nécessairement pertinent politiquement. En est ressortie toutefois deux idées majeures pour l’organisation : la sélection des membres et l’importance des organisations de masses.

Orientation

La première idée qui a été structurante pour RC, directement issue de la conception léniniste du parti de cadre, a été la prise de conscience que malgré notre nombre infime, nous ne pouvions recruter la première personne se déclarant communiste. Cette pratique de la recherche à tout prix de l’accroissement numérique a été la première dérive rencontrée par notre organisation et n’a été résolue qu’après une crise interne autour de la question de la marginalité et de la contre-culture militante. Malgré la volonté partagée de rompre avec le milieu militant, les premiers pas et les premiers recrutements de RC se sont faits dans ce terrain là et nous avons alors été confrontés aux travers récurrents présents chez beaucoup de militants. Ainsi, nous avons vite rencontré la problématique d’une certaine conception identitaire de l’activité militante. L’engagement ne saurait pour nous être un échappatoire qui par des codes et une culture cryptiques permettrait une nouvelle sociabilité marginale. Un militant ou une militante communiste doit être en phase avec son temps et ne pas se couper de sa classe. Si nous ne blâmons personne et nous comprenons dans une certaine mesure la nécessité de la constitution de cet échappatoire face à une société de plus en plus atomisée, nous pensons qu’il faut activement chercher à en sortir. 

La seconde idée qui a pour nous été déterminante, et qui découle de la première, est de considérer que dans une période marquée par une conscience de classe historiquement basse et une grande faiblesse des organisations du prolétariat, nous avons la nécessité de nous doter d’organisations de masses afin d’intervenir dans différents secteurs. Après une première tentative avec l’organisation Action Solidarité, pas assez délimitée politiquement mais permettant d’agréger un premier noyau de personnes, nous avons décidé de lancer une nouvelle organisation dans laquelle intervenir : la CGT SELA 315. L’orientation qui a été choisie de militer dans un premier temps uniquement à travers des organisations de masses est venue de différents constats. L’idée première était de rompre avec un militantisme communiste déconnecté de la conscience politique de la population. Reconstruire des organisations de classe était alors un moyen pour amener à une première politisation qui devait être dépassée grâce à l’intervention de l’organisation politique. Le second constat, peut-être un des plus marqués par notre immaturité de l’époque, était que les organisations communistes au sens large et d’autant plus celles se réclamant de l’anti-révisionnisme étaient trop ossifiées et dogmatiques et que nous devions nous en éloigner et donc exclure tout travail commun. Enfin, les organisations de masses devaient être pour nous un sas dans lequel nous pourrions former et évaluer le niveau organisationnel et pratique des militants avant de décider de leur adhésion à RC. Ces constats que nous avons pu nuancer par la suite étaient le fruit de notre expérience immédiate et des affects d’une poignée de militants qui se trouvaient dégoutés de ce qu’avaient pu être leurs précédentes expériences dans différentes organisations. Si cela a permis un accroissement quantitatif de notre organisation et une grande accumulation d’expérience pratique et organisationnelle, cette orientation a également eu plusieurs impacts négatifs sur notre organisation. Elle a causé un frein direct à nos productions théoriques tant les tâches syndicales étaient chronophages, et si nos formations internes et ouvertes se sont poursuivies, elles se sont retrouvées subordonnées à d’autres impératifs et en ont logiquement pâti.

Crise 

Lors de la période récente, notamment en raison des difficultés traversées par la grande majorité des organisations du milieu révolutionnaire, a pu se développer chez nous une certaine suffisance, une certitude sur notre supériorité en tant qu’organisation ascendante dans un microcosme habitué au déclin ou à la stagnation. S’il est nécessaire d’avoir une certaine confiance dans la ligne de l’organisation dans laquelle on milite, cela ne doit pas empêcher l’autocritique et la reconnaissance chez autrui de qualités parfois supérieures aux nôtres dans certains domaines. Ce défaut est compréhensible pour une jeune organisation devant se faire sa place et s’affirmer dans le microcosme des groupuscules révolutionnaires, mais s’il n’est pas vite corrigé, il peut nous plonger dans le sectarisme et nous conduire à nous mettre des œillères nous empêchant de progresser. Enfin, avec une orientation tournée vers le travail de masse et un recrutement se basant de plus en plus sur les capacités pratiques et organisationnelles, a pu se développer une dévalorisation des tâches théoriques qui sont les nôtres. La prédominance du débat concernant notre intervention dans les organisations de masses sur le débat théorique de fond et les discussions politiques a pu mettre en sommeil la réflexion sur la place que devait occuper RC et la forme qu’elle devait prendre.

Ces problèmes larvés tandis que nous étions en phase ascendante nous ont vite rattrapés lorsque les premières dissensions sont apparues. 

La prédominance de l’informel et des individualités, traits caractéristiques des organisations groupusculaires mais pouvant se retrouver dans des structures bien plus importantes, fut le catalyseur des contradictions que nous allons évoquer. Ainsi, nous avons connu cette année une période de contradictions aiguës ne se résolvant qu’au bout de plusieurs mois. Nous n’avons pas su régler ces problématiques avant qu’elles n’éclatent en grande partie parce que le travail de masse occupait non seulement une majeure partie du temps dont nous disposions mais également la majorité de nos réflexions. Nous avons aussi surestimé la cohérence de notre organisation, les liens informels aussi forts soient-ils ne peuvent pas compenser une trop grande disparité de niveau de formation et d’adhésion idéologique. La superposition des vies personnelles et militantes rend souvent d’autant plus tendues les contradictions politiques, celles-ci tendent alors à devenir sans cadre démocratique clair et régulier autant un affrontement d’individualités que d’idées. Cette crise permit toutefois un véritable débat sur la forme, les objectifs, la qualité de vie et l’intervention de notre organisation. Elle ouvrit aussi une porte de sortie par le haut et le début de la résolution de la problématique posée par l’effacement du travail politique au profit du travail de masse, elle permit également une remise en cause de la qualité de vie et de la place que prenait l’informel dans notre organisation. Enfin, elle nous fit prendre conscience encore une fois de l’immensité du chemin à parcourir et de la nécessité d’évaluer correctement l’état de notre organisation dans le mouvement communiste en France. 

Maintenant

Quel bilan tirer de ces cinq années écoulées ? Si nous avons fait nombre d’erreurs, nous pensons qu’une grande partie d’entre elles faisaient partie du processus induit par le changement de dimension de notre organisation, et dans une certaine mesure, ces dernières nous ont permis d’emmagasiner une expérience précieuse. Nous sommes toujours à l’état de groupuscule mais nous pensons avoir atteint une nouvelle dimension en sortant du stade des individualités pour faire un premier pas vers une cohérence organisationnelle et politique. Nous avons également réussi à dépasser l’enclavement sur Toulouse en lançant une nouvelle section à Paris et bientôt de nouvelles ailleurs en France. Notre impact sur le réel est toujours infime mais nous avons eu le courage d’expérimenter, d’échouer, et surtout d’en tirer un bilan critique qui sera précieux pour le futur de notre organisation. Mais alors, qu’est-ce que Reconstruction Communiste aujourd’hui ? C’est une tentative de réponse à la longue crise dans laquelle est plongé le mouvement communiste en France, une crise idéologique mais aussi une crise des pratiques militantes. C’est une tentative jeune et imparfaite, mais qui n’a pas peur de se remettre en question et de questionner les dogmes les plus ancrés.

Si nous ne pensons pas être “condamnés à gagner”, nous ne sommes pour autant pas plus condamnés à perdre, il convient donc de se retrousser les manches et d’affronter l’ampleur des tâches qui se dressent devant nous. Autant qu’un travail d’autocritique, ce texte est un appel à ceux qui n’ont pas peur de se battre, d’échouer comme de gagner.

  1. À noter toutefois l’exception notable du livre Sur Unité Communiste de l’organisation éponyme, dont la lecture a motivé la rédaction de cet article.
  2. Rassemblement Organisé des Communistes Marxistes-Léninistes
  3. Partido Marxista Leninista – Reconstrucción Comunista
  4. Parti Communiste des Ouvriers de France
  5. Syndicat étudiant, lycéen et apprenti de Haute-Garonne affilié à la CGT