Réflexions sur l’oppression des femmes

Devant l’importance d’un sujet aussi grave que celui de l’oppression des femmes, Reconstruction Communiste se devait de développer une position. Il s’agit, dans un premier temps, dans cet article, de fournir une explication scientifique et marxiste de l’origine de cette oppression. Comprendre les racines historiques du phénomène nous permet d’en analyser les tenants et les aboutissants pour accoucher de solutions réellement adaptées. Il existe, dans les courants politiques de gauche, une multitude d’analyses sur le sujet. C’est à la fois une chance de par le foisonnement d’études universitaires sur le sujet mais ces dernières sont aussi, bien souvent, de véritables manifestes politiques. La victoire de la bourgeoisie sur le camp communiste à la fin du XXème siècle a permis le développement de courants féministes anti-marxistes. Ces derniers sont aujourd’hui dominants dans la manière d’appréhender l’oppression des femmes. Leur influence s’étend même jusque dans le camp marxiste. Il paraissait donc normal pour RC de rassembler les éléments scientifiques nécessaires à la réalisation de sa propre analyse de la question, sans l’interférence des grilles d’analyse féministes à la mode.

Cette démarche démarre par un questionnement des termes et des concepts utilisés. Tout d’abord, de quoi parle-t-on lorsque l’on parle de “femmes” ? Aujourd’hui, la définition du terme englobe une réalité plurielle, puisqu’elle comprend autant une réalité biologique (sexe) que culturelle et sociale (genre). Ce processus de maturation identitaire des individus débute avec l’embryon dans le ventre de la mère. Le codage génétique est le premier facteur de différenciation entre les femmes qui comportent deux chromosomes X et les hommes qui possèdent un X et un Y. Il existe bien entendu des exceptions mais l’immense majorité des cas permet aux scientifiques de définir deux grands pôles, deux grandes normes que sont les hommes et les femmes. Avec le développement de l’embryon au fœtus, des différences hormonales s’affirment notamment au niveau des œstrogènes et de la testostérone. Au cours de la grossesse, les différences hormonales induisent un développement de caractères secondaires propres aux femmes et aux hommes. Ces caractères sont les traits physiques distinctifs qui permettent de différencier les individus des deux sexes pour une même espèce animale. Les ovaires apparaissent chez les femmes et les testicules chez les hommes. Durant l’adolescence, d’autres caractères vont s’accentuer et se développer. Mais ne brûlons pas les étapes et revenons à l’enfant en bas âge. Les premiers mois et premières années semblent déterminantes pour les premières bases psychologiques de l’assimilation de l’identité de l’enfant en réaction à la manière dont les parents vont le traiter. Entre 5 et 7 ans, l’enfant accepte son identité sexuelle et les codes qui vont avec. Cependant, selon les études, 1 enfant sur 10 000 ou 50 000 selon les estimations, se dit prisonnier d’un corps qui ne correspond pas à son ressenti. Le dernier facteur à entrer en jeu est celui de l’idéologie. La société va attribuer aux hommes et aux femmes des rôles/caractères sociaux spécifiques selon un contexte historique, politique et culturel donné. Les individus se conforment donc majoritairement à ces attentes, pour le meilleur comme pour le pire. Nous allons voir au cours de cette analyse que ces différences au départ biologiques vont avoir une incidence historique sur la répartition des rôles dans le travail puis dans l’ensemble de la société. Pour comprendre ce processus, nous allons devoir revenir aux moments où l’exploitation et l’oppression des femmes s’est cristallisée.

Origines de l’exploitation des femmes

À la base de tout semble se situer le patriarcat. Mais quelle définition donner à ce terme si souvent utilisé ? Nous partons du présupposé qu’il s’agit d’une idéologie. C’est-à-dire un ensemble d’idées se développant sur une base matérielle au départ mais capable de s’auto justifier par la suite. Nous pouvons en conclure, en nous basant aussi sur les travaux d’anthropologues comme Françoise Héritier que le patriarcat se définit au départ de la manière suivante :

“idéologie discriminatoire se basant sur les différences biologiques (maternité, règles, différence morphologiques) entre hommes et femmes pour imposer la primauté de l’autorité masculine”.

Cette idéologie permet dans les sociétés primitives de justifier la division sexuée du travail. Les préhistoriens, sociologues, ethnologues et autres anthropologues s’accordent pour dire que jusqu’à présent, il n’a jamais été étudié ou observé de société où les femmes ne seraient pas subordonnées d’une manière ou d’une autre aux hommes. Si dans certaines sociétés, l’importance des femmes dans la production et l’accès à la propriété leur offre une situation plutôt confortable, les postes militaires et politiques leurs restent inaccessibles. Il est à noter que plus les sociétés sont inégalitaires d’un point de vue économique, plus l’oppression des femmes se fait ressentir. L’anthropologue Christophe Darmangeat résume ainsi :

“quel que soit le niveau de développement économique et social, la condition des femmes est invariablement défavorable lorsqu’elles participent peu aux travaux productifs”.

Cette division du travail sexuée renforce l’idéologie patriarcale qui va elle-même entretenir l’organisation sociale et économique. Il est difficile pour les chercheurs et chercheuses de trouver des traces pour expliquer précisément la formation du patriarcat. Il nous faut donc nous contenter pour l’instant de cette hypothèse.

À partir de cette culture de la différenciation qu’est le patriarcat va se développer une nouvelle version de structure sociale et idéologique. C’est ce qui est appelé par la sociologue Michèle Barrett, le système “ménage-famille”. Tout d’abord, le “ménage” est une structure sociale où un ensemble de personnes sont liées habituellement par des liens biologiques; et qui dépend du salaire d’une partie du groupe. En l’occurrence, souvent le père ou le mari. Le ménage repose aussi sur le travail non-rémunéré d’une partie du groupe, souvent la mère/femme reléguée aux tâches domestiques entre autres. Ce système de rapports sociaux se couple à l’idéologie “familiale” définie ainsi par Michele Barrett :

“naturellement fondée sur une proche parenté, et convenablement organisée autour du gagne-pain d’un homme, dont la femme et les enfants seraient financièrement dépendants. La vie familiale est aussi conçue comme un havre d’intimité au-delà du domaine public du commerce et de l’industrie”.

Cette vision de la famille se trouve confortée avec l’essor de la bourgeoisie qui possède son propre modèle familial bâti autour de la thèse des deux sphères. La sphère publique, associée au travail, à la politique et à la vie en société se doit d’être celle de l’homme quant à la sphère privée, liée au foyer, à l’intimité et à l’éducation des enfants se trouve réservée aux femmes. Cette vision de la répartition des tâches, de manière sexuée ou genrée, n’était pas la seule existante. Pour exemple, le modèle aristocratique donnait ainsi une place plus importante aux femmes dans la sphère publique, chargée d’animer les relations sociales et politiques du ménage. Ainsi pour la sociologue Johanna Brenner, le système “famille-ménage” n’était pas forcément voué à être le modèle dominant:

“Une telle structure n’était pas inévitable ; elle est issue d’un processus historique, par lequel une certaine idéologie, supposant le lien naturel des femmes à la domesticité, a été intégrée aux rapports de production capitalistes. Cette idéologie provenait en partie de conceptions précapitalistes sur la position sociale des femmes, mais était surtout une construction de la bourgeoisie, correspondant aux rapports familiaux bourgeois.”

C’est donc en partie la victoire politique de la bourgeoisie sur les anciennes classes dirigeantes ainsi que sa capacité à propager son modèle de valeurs qui a restreint le champ des possibles divisions du travail lors de l’avènement du capitalisme. C’est avec la naissance et le développement de ce dernier entre la fin du XVIIIème et XIXème siècle que va se mettre en place une nouvelle division du travail basée en partie sur le sexe.

Le capitalisme crée cependant une contradiction. D’une part il enferme l’homme et la femme dans des sphères distinctes. L’homme est à l’usine pendant des journées allant parfois jusqu’à plus de douze heures. Dans le même temps, les femmes se trouvent seules à gérer l’aspect domestique ainsi que l’éducation des enfants. D’autre part, le capitalisme, de par son fonctionnement, intègre de plus en plus de femmes dans la production. Ces dernières avaient été largement écartées de la production extérieure au foyer dans les modes de production précédents. Pour comprendre cela, il faut partir des rapports aveugles du capitalisme face au genre dans le processus de production. En effet, les marchandises produites dans les usines des bourgeois et qui abreuvent les marchés ne sont plus la propriété de ses producteurs. Il en résulte qu’une étoffe textile par exemple, qu’elle soit fabriquée par un homme ou par une femme n’importe finalement pas. En théorie, il n’y a donc aucun facteur qui empêche les capitalistes d’embaucher des femmes ou même des enfants. Cependant, dans les faits, les hommes et les femmes ne sont pas égaux dans la production. Le capitalisme et ses cadences empêchent les familles de prolétaires d’assumer à la fois la survie et la reproduction de la force de travail. En langage marxiste, au sens social, force de travail équivaut aux travailleurs donc dans le cas présent aux enfants qui deviendront de futurs prolétaires mais aussi aux membres déjà actifs du foyer. Afin d’entretenir la force de travail, il se développe une division des tâches. Un membre va prendre un travail à temps plein quand l’autre s’occupe des tâches domestiques ainsi que d’un travail d’appoint car le premier salaire ne suffit pas à couvrir les frais du ménage. Le système capitaliste appauvrit les familles dans un premier temps, la paie est basse et pratiquement pas encadrée par l’Etat ou les organisations de travailleurs ; les salaires uniques suffisent rarement à subvenir à tous les besoins d’un foyer. C’est à la femme qu’incombait ce rôle d’entretien. En effet, sans moyens d’assurer l’allaitement au travail ou de manière abordable et sûre (les enfants mourraient beaucoup chez les nourrices), les femmes devaient s’organiser pour avoir du repos et quitter la production. Au XIXème siècle, le nombre d’enfants par femme a accentué la présence de la femme au foyer : cette période est marquée par un nombre d’enfants par femme élevé. Il fallait une descendance nombreuse pour qu’elle puisse subvenir aux besoins des parents une fois ceux-ci trop vieux. Ce phénomène a puissamment renforcé le modèle famille-ménage.

Dans ces conditions, les femmes se trouvent handicapées dans la lutte pour une place sécurisée et stable dans la production. Les capitalistes les considèrent comme une main-d’œuvre vulnérable, au même titre que les enfants, ou les travailleurs immigrés de nos jours. La sociologue Maria Ramas explique :

“Les compétences des femmes sont moins « valorisées » non pas à cause d’une dévaluation idéologique des femmes, mais parce que celles-ci se trouvent à être moins souvent organisées en syndicats, moins mobiles dans leur recherche d’emploi, et généralement plus contraintes par les tâches domestiques.”

C’est la faiblesse de leur situation qui a permis aux capitalistes de perpétuer la faiblesse des salaires chez les femmes en moyenne. Les préjugés patriarcaux entretenaient aussi l’idée que les femmes avaient besoin d’un moindre salaire puisqu’elles mangeaient moins et qu’il s’agissait d’un salaire d’appoint à la famille. L’origine de l’oppression des femmes dans la production capitaliste, et donc dans la société, est le couplage du fardeau biologique et des difficultés à se défendre pour un salaire décent (notamment en raison de la précarité de leur situation). L’idéologie, dans un second temps, venant parachever tout cela.

Le modèle famille-ménage continue à s’imposer en l’absence d’un mouvement ouvrier et socialiste assez fort pour arracher des concessions capables de faire émerger un nouveau modèle. L’impact de la formation du capitalisme sur les femmes résonne au travers des mots de Johanna Brenner :

“Cette résolution a été tragique pour les femmes, en ce qu’elle a assuré le maintien de leur dépendance et de leur subordination. Dans la mesure où le système famille-ménage a contribué à placer les femmes dans les positions les plus précaires du marché du travail, il a du même coup accentué le déséquilibre des forces entre les sexes, permettant aux hommes d’exercer un contrôle sur la sexualité des femmes, de transférer sur elles une grande partie du fardeau du travail domestique, et de formuler des demandes émotionnelles non réciproques.”

La situation des femmes aujourd’hui en France

Les bouleversements du XXème siècle viennent cependant transformer les rapports sociaux et productifs. Le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale voit une augmentation de la demande en main-d’œuvre. Les femmes entrent alors massivement dans le monde du travail. Du point de vue politique, les revendications d’égalité politique et sociale avancent grâce aux partis de gauche et aux syndicats qui développent en leur sein une présence féminine de plus en plus forte. L’idéal d’émancipation du genre humain dans son ensemble porté par le socialisme et le communisme permet de faire avancer la cause féminine. Les hausses de productivité dans les pays capitalistes couplées aux demandes pressantes d’un mouvement ouvrier organisé accouchent de réformes sociales qui garantissent une retraite, des soins gratuits et globalement une plus grande prise en charge des besoins primaires par l’Etat. Plus les femmes entrent dans la production et s’organisent, plus les employeurs doivent assurer des aménagements pour permettre la stabilité du travail de cette main-d’œuvre. C’est la naissance de l’Etat Providence à la française.

La mise en route des réformes sociales se couple à une baisse du nombre d’enfants par femme à partir des années 1960. Il faut prendre en compte que la France est un pays avec un taux de fécondité historiquement bas puisqu’elle a achevé sa transition démographique bien plus tôt que la plupart des autres pays du monde.

Il faut ajouter à cela qu’avec une retraite assurée et des services publics de soins, il n’y a plus besoin de compter sur la descendance pour l’entretien des personnes âgées.

La scolarisation et l’éducation de masse gratuite permettent de décharger les familles en journée du poids des enfants. En France notamment, l’instruction obligatoire dès 3 ans et la mise à disposition des parents de structures pour accueillir les enfants de 7h à 18/19h tout en prenant en charge le midi a permis de stabiliser l’emploi des femmes. Les lois sur la contraception entre 1967 avec la loi Neuwirth et 1975 avec la loi Veil permettent aux femmes de gagner le contrôle de leur fertilité. C’est une grande victoire pour les femmes. Dans le même temps, elles obtiennent en 1972 l’égalité légale des salaires avec les hommes. Globalement, depuis 1944, c’est tout un ensemble de lois qui favorisent la libération des femmes de la tutelle masculine, leur permet de se libérer du poids de la maternité grâce à l’intervention de la société, de l’Etat, et leur assure une place légalement égale à l’homme dans le monde du travail. Ainsi, en 2018, d’après l’enquête Emploi de l’Insee, 80% des femmes âgées de 20 à 59 ans sont actives contre 89% de leurs homologues masculins, mais respectivement 86% et 71% parmi les non-bacheliers.

Si l’État Providence en France permet de libérer progressivement les femmes des carcans du vieux monde et des conséquences de la formation sexiste du capitalisme, il reste vulnérable en raison des crises que le capitalisme ne cesse de connaître. Ces dernières viennent régulièrement ébranler ce modèle au profit d’une vision plus libérale qui triomphe en France depuis les années 1980. Ainsi, rien ne garantit que ces conquêtes seront éternelles. Le capitalisme assure une redistribution des richesses et prend en charge une partie de l’entretien de la force de travail sous le poids d’un État interventionniste.

En période de crise, il cherche à limiter au maximum les dépenses. Ces mesures de libéralisation viennent immanquablement pénaliser les femmes. Maria Bramas écrit :

“La raison n’est pas, comme le soutient Barrett, que les divisions entre les sexes sont « intégrées » aux rapports de production capitalistes. C’est plutôt que le capitalisme est marqué par une tendance systématique à réduire le niveau de vie de la classe ouvrière et à forcer les ouvriers à effectuer le travail nécessaire à leur reproduction pendant leur « propre » temps.”

Au-delà des considérations purement économiques, les femmes, et par contre-coup les hommes, continuent d’être reléguées dans certaines catégories socioprofessionnelles particulières. Les femmes sont associées aux métiers de la santé, de l’éducation et sont très présentes dans les postes d’employées à des échelons intermédiaires. Les hommes se retrouvent plus souvent dans les métiers techniques, de la force publique, ainsi que dans les postes de direction des entreprises. Cette division du travail est un leg de la première division sexuelle du travail en système capitaliste ainsi qu’une persistance des caractérisations patriarcales des tâches selon le genre. Les femmes sont souvent reléguées à des métiers peu reconnus socialement et précaires. Cette remarque, il faut le noter, ne se limite pas aux seules femmes mais plus largement à toutes les populations considérées comme une main-d’œuvre plus docile par les capitalistes. Le poids toujours présent du patriarcat dans l’éducation des enfants vient aussi guider les choix professionnels futurs. Les filles sont associées aux métiers du soin, du calme, de la patience (care) quand les garçons sont orientés vers des métiers de force, de direction. La division sexuelle ou genrée du travail produit immanquablement une inégalité des revenus entre les hommes et les femmes. Cependant, il faut faire attention lorsqu’on avance un tel argument. Tout d’abord, si nous parlons des hommes et femmes dans la société française, cela s’explique comme dit précédemment par la surreprésentation des femmes dans des métiers avec peu de qualifications ou précaires. Dans le cas où l’argument serait employé à propos d’un travail similaire entre un homme et une femme, l’explication est que les femmes sont plus souvent employées à temps partiel. En 2019, 28% des femmes travaillent à temps partiel (8% des hommes) et près de huit emplois à temps partiel sur dix sont occupés par des femmes. La raison : les femmes continuent d’être associées aux tâches domestiques et doivent prendre des emplois adaptés à ces impératifs. Le fait est que les femmes voient souvent leurs carrières coupées par la période de maternité.

Concernant les violences et les discriminations envers les femmes, autant au sein des entreprises que dans la sphère privée, la situation s’est améliorée par rapport au XXème siècle. La parole des femmes se libère et même si des progrès peuvent encore être faits, les autorités compétentes prennent de mieux en mieux en charge les cas de violences envers les femmes. Les vagues de libération de la parole sur les réseaux sociaux depuis 2017 avec le #Metoo et en France avec le #Balancetonporc montrent notamment que pour une partie de la société, ces questions doivent être résolues. Nous pouvons regretter que ces mouvements se limitent bien souvent aux sphères diplômées de la jeunesse et au monde de la culture, mais il semble toutefois que l’impact de ces mouvements sur la société a été qu’un plus grand nombre de femmes portent plaintes après avoir subi des violences. Pour ce qui est des discriminations et du harcèlement, la situation s’est certes améliorée, mais elle continue de toucher les femmes au quotidien. Les comportements de harcèlement sont de plus en plus dénoncés au grand jour grâce à la sensibilisation sur le sujet dès le plus jeune âge en France. Une enquête IFOP de 2018 commandée par la Fondation Jean Jaurès montrent que 86% des femmes interrogées déclarent avoir subi au cours de leur vie du harcèlement ou des formes d’agressions sexuelles. Si les études ne montrent pas d’augmentation du nombre de cas, les nouveaux moyens de communication ont fait muter les méthodes de harcèlement qui permettent de faire peser la pression de manière quasi-permanente.

Le poids du patriarcat continue ainsi de se faire sentir en 2021.

Avant de passer à la partie suivante, il paraît nécessaire de parler du cas des femmes transsexuelles. Si elles représentent une minorité des femmes, elles en font pour autant partie à quelques différences notables. Elles souffrent des mêmes préjugés et mêmes catégorisations sociales que les femmes. Elles sont aussi discriminées, harcelées, voire plus dans les cas où elles ne correspondent pas suffisamment aux codes sociaux féminins. Ce qui entraîne des départs précoces dans le monde de l’entreprise pour des raisons de mal être sur le lieu de travail. La différence avec les autres femmes tient aux raisons biologiques. Les femmes transsexuelles ne subissent pas au niveau individuel le handicap de la grossesse dans leur parcours professionnel. Cependant, dans un cadre de famille-ménage et en fonction de leur position, elles vont tout autant être associées aux tâches domestiques. Aujourd’hui, les femmes transsexuelles héritent de l’oppression des femmes forgée des siècles auparavant. Leur intérêt est en ce sens totalement lié à celui des autres femmes.

Quelles solutions

Nous avons évoqué dans la partie précédente que le capitalisme dans son stade avancé et dans le cadre d’un Etat Providence peut progressivement permettre une intégration totale et égalitaire des femmes dans la production. Le tout en permettant aux femmes de gagner un espace politique et social. Le patriarcat devient un obstacle au développement du capitalisme après avoir servi à la division sexuelle du travail et à l’exploitation accrue des femmes. La remise en cause de ce système dans le monde occidental au tournant des années 1980 menace pourtant l’engagement de l’Etat dans l’entretien de la force de travail. Celui-ci retombe donc sur les épaules des femmes malgré la progressive intégration des hommes aux tâches domestiques et à l’éducation des enfants. La faute venant d’une répartition du travail qui favorise les hommes, leur permet d’occuper des postes avec de meilleurs salaires.

Comment réagir à cette désagrégation des conquêtes sociales qui menace la place des femmes dans le monde du travail ?

Le syndicalisme a été historiquement en France l’un des principaux outils de conquêtes sociales. L’intégration massive des femmes et de leurs revendications à partir des années 1920 a permis de faire avancer leur cause tout au long du XXème siècle. Cependant, les syndicats ne comptent aujourd’hui qu’une faible représentation féminine. La CGT ne compte en 2005 que 28% de femmes pour 44% à la CFDT, un syndicat au service de la bourgeoisie. Les efforts fournis par les Confédérations pour promouvoir la féminisation des syndicats a permis l’adoption de la parité dans toutes les instances de la CGT en 1999 (seule confédération à l’avoir adoptée). Egalement, l’implantation historique des syndicats comme la CGT dans les grandes entreprises et notamment dans le secteur industriel est défavorable à la représentation féminine dont la main-d’œuvre est peu retrouvée dans ces viviers. Le constat est que les syndicats de lutte possèdent des outils pour permettre aux femmes de se battre sur leurs lieux de travail mais ne sont pas présents là où ces dernières travaillent. Un effort doit être fait par les syndicats pour syndiquer les femmes.

Nous devons permettre l’organisation de ces dernières afin qu’elles puissent engager un rapport de force dans le monde du travail pour arracher leur reconnaissance ; comme celle d’une main-d’œuvre tout aussi combative que les hommes, capable de se défendre elle-même.

Partant de là, la défense puis la conquête d’une meilleure gestion de l’entretien de la force de travail par la collectivité ainsi qu’une prise en compte sans pénalisation des facteurs biologiques pourra avoir lieu. Renforcer la position des femmes dans le monde du travail, c’est renforcer leur position dans la société toute entière. Le syndicalisme apparaît comme le premier outil nécessaire à ces avancées.

Toujours en lien avec la lutte économique, doit se poursuivre la lutte contre le patriarcat et les visions essentialistes sur les hommes et les femmes. Là encore, un travail d’éducation doit être fourni par les organisations syndicales et politiques de classe. Prendre en compte les différences biologiques entre les hommes et les femmes ne signifie pas justifier une différenciation dans le traitement, dans la représentation politique et sociale. Le combat contre le patriarcat est un combat qui concerne les femmes comme les hommes en raison de son caractère et de son impact universel. Il en va du projet d’émancipation collectif que portent les communistes. Nous devons viser la fin de la division sexuelle du travail et de la discrimination genrée.

Ce combat peut-être mené sous le capitalisme par un mouvement des travailleuses et travailleurs fort. Il peut engranger des victoires. C’est un fait. Cependant, les contradictions du capitalisme, son caractère destructeur pour la planète ne lui permettent pas toujours de libérer une partie des profits pour des systèmes sociaux élaborés. Les crises le conduisent systématiquement à attaquer les conquêtes sociales et à faire peser le prix de sa déroute sur les hommes et femmes du prolétariat. Si nous voulons sécuriser les conquêtes futures, promouvoir une gestion collective des tâches domestiques et de la force de travail, alors il nous faut aller au devant des contradictions du système pour en bâtir un nouveau.


Bibliographie

Articles

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  • Dalmans Marianne, “Origine et déclin du patriarcat : l’enjeu de l’égalité”, CVFE, 2010
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  • Dupont Gaëlle, Les plaintes pour viol et agression sexuelle en nette hausse en 2017
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Périodiques

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Ouvrages

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  • Ghandy Anuradha, Les courants philosophiques dans le mouvement féministe, 2006
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