La réponse de RC à la contribution d’un camarade concernant la position que doit adopter le parti communiste à propos de l’attitude patriotique

L’engagement politique de terrain est en réalité une source inépuisable de débats politiques abstraits et théoriques. Durant chaque pause, chaque repas collectif ou chaque trajet ont lieu de potentielles discussions enflammées. Les militants de Reconstruction Communiste sont bien souvent les premiers à prendre part à celles-ci. De ce fait, nous nous sommes aperçus que le thème de l’appartenance à une nation, une patrie, et les implications politiques qui en découlent, sont un sujet d’importance pour certains camarades que nous croisons dans les organisations de masse. Comme nous avons pu le faire précédemment avec la question des conséquences politiques de la position “All Cops Are Bastard”, nous avons demandé à un sympathisant de notre organisation politique de nous expliquer sur quels grands principes et arguments repose sa position de “communiste-patriote”.

Le but de cet échange écrit n’est pas de faire se confronter deux théories politiques. Notre objectif est de permettre à un camarade sincère d’exprimer une opinion politique et nous donner la possibilité de la commenter, la critiquer, et si besoin de la réfuter.

De par leur origine, leur forme et leur objectif, la production du camarade ainsi que notre contribution critique ne sont pas absolues ni complètes. Néanmoins, elles sont la manifestation d’un projet ambitieux qui n’a malheureusement aujourd’hui que peu de semblables : rendre à la réflexion politique marxiste sa vitalité et son accessibilité.

Vous trouverez immédiatement la contribution du camarade suivie de notre commentaire.

Contribution du camarade

Dans cette contribution, nous allons défendre l’idée qu’il est pertinent pour ce qui a vocation à devenir un parti communiste en France d’adopter une ligne politique patriotique. Avant toute chose, nous allons définir certains termes que nous utiliserons par la suite afin que l’on se mette d’accord sur ce dont on parle.

Une nation peut être définie par des critères objectifs et subjectifs. Dans sa dimension objective, une nation est un groupe humain assez vaste qui vit sur un même territoire et qui partage des liens économiques, culturels, linguistiques et parfois religieux. Dans sa dimension subjective, qui est le reflet idéologique des éléments objectifs que nous venons de voir, une nation est un groupe humain qui possède un sentiment d’appartenance à une même nation, duquel découle la volonté d’avoir un destin commun, un projet politique commun. Nous considérerons ici que ce qui forme une nation est une combinaison de ces deux éléments, tout en gardant à l’esprit que les nations ne sont pas des entités aux contours exacts et figés dans le temps, mais plutôt des constructions historiques complexes qui peuvent parfois se chevaucher, se superposer. Pour ce qui est du patriotisme, nous prendrons simplement la première définition qui apparaît sur Google : “amour de la patrie ; désir, volonté de se dévouer pour la défendre”. Nous verrons plus en détail ce que nous entendons par patriotisme dans la suite de notre exposé.

Les communistes poursuivent l’objectif de l’instauration d’une société sans classes, sans exploitation et sans oppression à l’échelle du monde entier. Cependant, les moyens employés pour atteindre cet objectif varient énormément en fonction du lieu ou de l’époque où la lutte prend place. Cela est dû au fait que ceux-ci élaborent leur doctrine et leurs stratégies à partir de l’analyse d’une situation concrète, et non de principes abstraits figés dans le temps, afin d’être le plus à même d’agir sur cette situation. En des termes plus simples, les communistes et plus spécifiquement les marxiste-léninistes ont une attitude pragmatique. Il est donc logique que dans les États-nations modernes comme la France, le parti communiste, qui est la forme suprême de l’organisation de la classe prolétarienne, se constitue à l’échelle d’un État-nation. En effet, c’est dans ce cadre que prennent place les institutions politiques qui régissent la société et que se trouve un peuple qui se vit comme tel et a la volonté d’avoir un destin politique commun, c’est donc le cadre pertinent pour mener la lutte politique qui doit conduire au socialisme. C’est ce qu’affirme déjà Marx dans le Manifeste du parti communiste de 1848 :

“Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit, en premier lieu, conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe maîtresse de la nation, il est encore par là national lui-même, quoique nullement dans le sens bourgeois”.

Cependant, le fait que la lutte du prolétariat soit d’abord nationale ne nous dit que peu de choses sur la position que doivent adopter les communistes vis-à-vis de la nation.

Le chauvinisme, qui a conduit en 1914 le mouvement ouvrier au plus grand désastre de son histoire, à savoir la collaboration des partis socialistes de la deuxième Internationale dans la guerre entre les grandes puissances impérialistes au nom de la “défense nationale”, semble être à bannir au sein de tout parti communiste. Néanmoins, nombreux sont les exemples de luttes de libération nationale menées par des communistes qui se sont souvent réclamés du patriotisme. Se pose alors la question de savoir quelle ligne doit adopter aujourd’hui et dans notre pays le parti communiste vis-à-vis de la nation ? Il faut noter que bien que nous traitions ici de la question nationale, nous n’allons que peu aborder les questions qui touchent à l’autodétermination des peuples et à la question coloniale. En effet, notre pays est un État unitaire et centralisé depuis plus de deux siècles, et exception faite du cas de la Corse et de la Nouvelle-Calédonie, les mouvements indépendantistes y sont assez faibles.

Nous allons tenter ici d’apporter un début de réponse aux questions suivantes : pourquoi le parti du prolétariat, qui est avant tout le parti d’une classe, devrait se réclamer de l’amour de la patrie, de la volonté de la défendre et de la faire progresser ? N’y a-t-il pas là un risque de dérive social-chauvine ? Et enfin, que faire en cas de contradiction apparente entre les intérêts nationaux et ceux du prolétariat ?

Il nous faut tout d’abord préciser que les communistes doivent combattre tout sentiment de fierté nationale excessif qui reviendrait à considérer sa nation comme intrinsèquement supérieure aux autres nations, et qui verserait ainsi dans un chauvinisme absolument irrationnel et incompatible avec toute théorie révolutionnaire réellement scientifique. On peut citer par exemple la critique que fait Lénine dans L’État et la révolution de certains socialistes français du début du vingtième siècle qui prétendaient que la France, qui avait fait la grande révolution bourgeoise de 1789, allait être amenée à être également le pays le plus avancé en ce qui concerne la révolution prolétarienne, et ce en dehors de toute analyse de la situation concrète du mouvement ouvrier européen à la lumière du marxisme. On peut également penser au révisionnisme qui a gagné le parti communiste français de Maurice Thorez dans les années de l’après-guerre. Celui-ci utilisait en effet l’orgueil national pour préconiser une “voix française vers le socialisme”, qui consistait en pratique à renoncer à être un parti réellement révolutionnaire prêt à prendre le pouvoir par tous les moyens pour promouvoir des méthodes de lutte beaucoup plus institutionnelles. Cependant, on ne peut que constater à quel point une ligne gauchiste qui consiste à interdire toute fierté nationale, toute fierté vis-à-vis de notre histoire et de notre culture commune, a tendance à conduire les révolutionnaires qui adoptent ces positions à se couper de nombreux travailleurs qui sont attachés à cette histoire et cette culture commune. Il n’y a pas de raison à ce que les militants communistes ne soient pas fiers de leur pays, de sa culture et de son histoire au même titre que leurs compatriotes, à condition de ne pas tomber dans les dérives dont nous venons de parler.

Tout le problème est alors d’élaborer une ligne juste qui évite ces deux types de dérives néfastes à la lutte du prolétariat : Les dérives chauvines opportunistes qui conduisent au révisionnisme, et dans le pire des cas, à la collaboration avec notre bourgeoisie impérialiste nationale, et les dérives gauchistes qui esquivent purement et simplement la question qui rejette tout sentiment d’appartenance nationale et toute volonté de défendre la patrie.

En effet, si cette dernière ligne peut être tentante dans la mesure où elle a l’avantage de la simplicité, car elle est inconditionnelle et économise donc l’effort de faire une analyse concrète de la situation, elle est pourtant selon moi tout à fait erronée. C’est un trait caractéristique du gauchisme que de refuser d’aborder des problèmes complexes en se cachant derrière une soi-disant intransigeance et une soi-disant pureté révolutionnaire. Lénine critique par exemple dans La maladie infantile du communisme la position des “gauches” allemands qui rejettent en bloc tout compromis en croyant par là s’opposer aux chefs opportunistes du mouvement ouvrier qui se sont rendus coupables de collusion avec la bourgeoise, et leur rappelle que l’histoire du bolchevisme est pleine de compromis. La ligne juste ne consiste alors pas à rejeter les compromis en général, ce qui n’est dans les faits pas possible, mais à dénoncer les compromis qui constituent des actes de trahison envers les intérêts du prolétariat. De la même manière, il n’est pas tenable, par peur des dérives opportunistes chauvines, de rejeter en bloc et peu importe la situation toute défense de la nation par les communistes, cette dérive gauchiste ayant même pu aller jusqu’au rejet de la résistance face à l’occupation nazie durant la Seconde Guerre mondiale par certains militants trotskystes. Adopter la ligne juste sur la question nationale suppose au contraire de se livrer à une étude minutieuse afin de déterminer dans quelle mesure des positions patriotiques peuvent être justifiées par les nécessités de la lutte révolutionnaire et de démasquer toutes les dérives chauvines.

Nous ferons ici l’apologie du patriotisme dans la mesure où il répond aux nécessités concrètes de la lutte du parti communiste dans la période qui précède la révolution ainsi que dans celle de la construction du socialisme. Il ne s’agit donc pas d’un patriotisme mystique et abstrait comme chez de nombreux nationalistes de droite, qui consiste à s’extasier sur les symboles nationaux ou sur une soi-disant “France éternelle” transcendante. La France est une construction historique qui a pris sa forme moderne récemment et il n’est pas exclu que le développement historique futur conduise à sa disparition. Nous n’allons pas non plus parler de la position vis-à-vis du patriotisme des partis communistes des pays socialistes à travers l’histoire, nous nous contenterons d’exposer notre position sur la question et de répondre à quelques objections.

Le parti communiste peut se réclamer du patriotisme car il porte à moyen terme le projet de l’instauration du socialisme à l’échelle de notre pays, soit le meilleur développement possible pour ce territoire et cette population. Cette seule volonté des communistes de prendre en main le destin de leur nation pour l’amener vers un progrès sans précédent dans son histoire me semble à même de justifier le fait que les communistes soient et doivent être des patriotes.

De plus, même si le contexte actuel de la France n’est pas celui d’un pays colonisé ni agressé militairement par un autre État, nous nous trouvons tout de même dans une situation où la souveraineté de notre pays est largement bafouée. Même sans parler de souveraineté des travailleurs sur l’appareil productif et de démocratie réelle, la souveraineté de notre pays et son fonctionnement démocratique sont aujourd’hui mis à mal même dans leur acception bourgeoise. En effet, bien que la France soit une puissance impérialiste, son adhésion à l’OTAN enferme sa défense nationale dans une organisation largement sous influence américaine. De plus, le parlementarisme tant vanté par la bourgeoisie est mis à mal par l’Union européenne et sa toute puissante Commission européenne non élue au suffrage universel. Cette organisation permet au patronat européen d’appliquer son programme en adoptant des normes supérieures aux normes nationales des États membres, et même à leur constitutions, sans avoir à se soucier des parlements nationaux sur lesquels les peuples parviennent parfois à avoir un semblant d’influence. Cela permet donc à la classe dirigeante de rendre illégal toutes les avancées rendues possibles par le mouvement ouvrier (on peut par exemple citer les monopoles publics sur l’énergie ou les transports), et de mettre en concurrence les travailleurs de toute l’Europe afin d’aligner leurs droits sur ceux des pays les plus retardataires en la matière, avec les effets désastreux que nous connaissons. La France n’ayant aujourd’hui plus de bourgeoisie nationale souhaitant restaurer sa souveraineté, le mouvement ouvrier français, malgré les difficultés qu’il traverse, se trouve être la seule force capable de rendre à la France son indépendance. Les communistes doivent donc être des patriotes dans la mesure où ils doivent placer au centre de leurs revendications l’exigence de la restauration de la souveraineté nationale, condition essentielle à l’application de leur programme. Les gauchistes du Nouveau Parti Anticapitaliste ou de Lutte Ouvrière, en raison de leur dégoût pour la nation et sa défense, ne s’opposent quasiment pas voir pas du tout à ce qui est pourtant un des instruments de guerre de classe les plus efficaces inventés par la bourgeoisie. Ce fait nous montre toute la dangerosité de ces dérives dogmatiques de gauche pour le mouvement ouvrier.

Enfin, quand le pouvoir aura été conquis, le patriotisme promu par le parti sera d’autant plus justifié que de grands efforts seront nécessaires pour construire le socialisme et pour défendre la patrie socialiste contre les agressions du monde bourgeois, surtout dans l’hypothèse où la France se trouverait être l’un des premiers pays à connaître une révolution prolétarienne au XXIème siècle. Ces objectifs semblent difficilement atteignables sans promotion de l’amour de la patrie socialiste par les militants communistes.

Cette vision du patriotisme n’entre en aucun cas en opposition avec l’internationalisme prolétarien indispensable à la victoire du mouvement communiste, qui peut se définir comme une solidarité active entre les prolétaires de toutes les nations dans le but de se libérer de leur exploitation. Comme son nom l’indique, l’internationalisme est quelque chose qui se passe entre les nations et ne suppose pas l’abolition de celles-ci. Être internationaliste n’exclue pas non plus d’aimer et de vouloir défendre sa patrie tant que cela ne se fait pas aux dépens des autres nations et n’entrave pas l’objectif final de tous les communistes, à savoir la libération des prolétaires du monde entier. Néanmoins, être un militant communiste patriote implique évidemment de lutter contre sa bourgeoisie nationale lorsqu’elle opprime d’autres peuples et mène des guerres impérialistes. On peut par exemple citer la lutte des communistes français contre les guerres d’Indochine et d’Algérie. Cette solidarité internationale entre les travailleurs et ce refus catégorique de l’impérialisme peut (et doit parfois) aller jusqu’à s’opposer les armes à la main à sa propre armée nationale. Cela n’est pas en contradiction avec notre conception du patriotisme car, comme l’écrivait Lénine, “un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre”. Empêcher notre pays et sa bourgeoisie spoliatrice d’asservir et d’exploiter d’autres peuples est donc l’un de nos devoirs de communistes et de patriotes.

De plus, revendiquer le patriotisme est également un moyen pour les communistes de ne pas accepter la marginalisation dont ils sont victimes par une droite qui voudrait faire passer leur internationalisme pour une trahison permanente de la nation, alors qu’en réalité c’est bien la classe des exploiteurs qui est prête à toutes les trahisons de l’intérêt national. Il n’y a pas de raison que le parti du prolétariat, parce qu’il est le parti d’une classe, ne puisse pas être patriote, dans la mesure où tous les partis sont les partis d’une ou plusieurs classes et aucun parti ne saurait représenter les intérêts de l’ensemble de la population, c’est-à-dire à la fois les intérêts des exploiteurs et des exploités.

En effet, les travailleurs et particulièrement ceux appartenant au prolétariat sont ceux qui produisent toutes les richesses qui permettent à la population de subvenir à ses besoins et au pays de se développer. L’histoire de France nous montre également que, bien que les prolétaires n’aient pas de patrie au sens où ils ne sont pas la classe dirigeante de la nation, c’est pourtant le prolétariat et son avant-garde consciente qui ont été capables des sacrifices les plus héroïques pour défendre notre pays. Bien que la bourgeoisie en appelle (suivant ses besoins) à l’orgueil national pour justifier ses guerres impérialistes et sa domination coloniale ou néo-coloniale, c’est bien les ouvriers socialistes de Paris qui ont été capables des plus grands sacrifices pour défendre le France face à l’invasion prussienne en 1871, tout en portant également un programme de révolution sociale. Ceux-ci ont d’ailleurs été massacrés par une rébellion des classes possédantes françaises soucieuses de faire porter aux classes laborieuses le poids exorbitant de la guerre, quitte à précipiter l’invasion prussienne et à céder une partie du territoire. De la même manière, on connaît les sacrifices héroïques dont ont été capables les communistes dans les mouvements de résistance durant l’occupation nazie et le prestige énorme qu’en tirera le Parti Communiste Français, ce qui lui vaudra le surnom de “parti des fusillés”.

Alors que les nationalistes reprochent aux communistes de promouvoir la lutte des classes au sein de la nation au lieu d’œuvrer pour la grandeur de celle-ci, c’est bien la bourgeoisie qui dans les deux exemples que nous venons de citer a précipité la défaite militaire de la France et a activement collaboré avec l’envahisseur afin de garder son pouvoir et ses privilèges de classe exploiteuse. Dans la pratique, ce discours nationaliste de l’union des classes au nom de la patrie s’est toujours traduit par une guerre sociale d’autant plus accentuée contre le prolétariat, en témoigne les régressions sociales et la répression extrêmement violente contre le mouvement ouvrier mené par le régime de Vichy qui prétendait pourtant mettre fin à la lutte des classes. Même si la bourgeoisie se livre sans scrupule à un révisionnisme historique permanent pour cacher ces aspects de l’histoire de notre pays, et tente de faire des communistes des parias au sein de la nation, il est de notre devoir de ne pas rentrer dans ce jeu et de revendiquer fièrement cette histoire. Il nous faut tenir le discours opposé, c’est la bourgeoisie que nous devons amener à être vue comme objectivement indigne de faire partie du pays, en sa qualité de classe parasitaire et improductive qui bien plus que le prolétariat trahit ouvertement l’intérêt national pour ses intérêts de classe égoïstes. Plutôt que de se marginaliser lui-même, le parti communiste a tout à gagner à se présenter comme le parti le plus à même d’amener le pays à progresser et à le défendre.

Nous allons maintenant nous demander ce que doit faire le parti communiste dans le cas où il faudrait manifestement léser les intérêts de la nation pour permettre la réussite de la révolution sociale.
Dans l’histoire, les communistes ont parfois été confrontés à des situations dans lesquelles la réussite de la révolution prolétarienne a nécessité certaines concessions allant à l’encontre de l’intérêt national, nous allons voir si cela est ou non une objection au patriotisme des communistes. Je pense ici notamment à la paix de Brest-Litovsk, conclue par les bolcheviks pour mettre fin à la guerre impérialiste et impliquant de grandes pertes territoriales pour la Russie, ou à la nécessité pour les communistes allemands d’accepter la paix de Versailles en cas d’accession au pouvoir dont parle Lénine dans La maladie infantile du communisme. Je pense pour ma part qu’il n’y a pas ici une contradiction avec la défense du patriotisme par les communistes. En effet, ceux-ci n’ont ici pas de volonté délibérée de nuire à la patrie mais acceptent simplement un compromis nécessaire en raison d’un rapport de force défavorable. La défense de la patrie, tout comme les autres aspects du projet des communistes, ne peut être réalisée que dans la mesure où la situation le permet et il est criminel d’engager la bataille contre un ennemi plus fort au nom de principes abstraits. Il n’est donc pas incompatible avec le patriotisme que doit porter le mouvement communiste de conclure des compromis défavorables à la nation pour assurer la réussite de la dictature du prolétariat si cela est justifié par des nécessités concrètes.

Ma position est tout autre en ce qui concerne une objection au patriotisme ouvrier que m’a opposée le camarade Luca Rizzo. En effet, selon lui, les communistes ne sauraient être patriotes dans la mesure où ce qui les intéresse avant tout n’est pas la question nationale, mais bien plus la question des rapports de production, la question de savoir à qui appartiennent les moyens de production, qui décide de ce qui est produit et qui produit et consomme quoi dans la société. Pour justifier cette position, il prend l’exemple de l’invasion de la France par un pays communiste qui souhaiterait instaurer le socialisme en France. Selon lui, la question du mode de production étant supérieure à la question nationale, les communistes devraient collaborer avec l’envahisseur afin de hâter la mise en place du socialisme et ne sauraient agir en patriotes. Pour ma part, je pense que cet exemple est frauduleux. En effet, s’il s’agit de l’intervention d’une armée rouge étrangère pour appuyer le prolétariat français et son parti dans son action révolutionnaire, cela ne semble pas poser de problème. La bourgeoisie n’a aucun mal à utiliser l’invasion étrangère à des fins contre-révolutionnaires, il est donc normal que le prolétariat puisse adopter une tactique similaire à la condition que cette aide soit une aide fraternelle poursuivant le seul but d’étendre la révolution prolétarienne. Cette aide doit garantir au prolétariat français une pleine souveraineté sur son territoire. S’il s’agit d’une tentative par un pays socialiste dirigé par des révisionnistes d’occuper notre territoire national dans le but de nous dominer, de piller nos ressources et de décider de notre politique intérieure et extérieure, alors dans ce cas il sera du devoir du parti communiste de s’opposer à une telle invasion. En effet, un socialisme imposé par l’étranger et ne respectant pas le pouvoir des ouvriers français de décider par le biais de leurs conseils et de leur parti communiste ne saurait être une version acceptable et démocratique du socialisme pouvant mener au communisme.

Le camarade Luca Rizzo a également critiqué ma position sur le patriotisme des communistes en disant que celle-ci, à force de vouloir éviter le nationalisme et le chauvinisme qui nous rendraient coupables de trahison envers le prolétariat et envers l’idéal communiste, est finalement sans contenu et devient un mot vide de toute substance. À mon avis, le camarade commet ici une erreur fréquente aujourd’hui du fait de l’association courante entre patriotisme et nationalisme. Pour lui, le fait de vouloir apporter le socialisme dans son pays, puis de lutter pour bâtir et défendre la patrie socialiste, ne nécessite aucun patriotisme, il s’agit seulement des objectifs de base du parti communiste. Dans son esprit, le patriotisme suppose nécessairement une certaine préférence nationale, l’affirmation d’une supériorité de notre nation et de notre peuple sur les autres. Je pense au contraire que vouloir prendre en main le destin de sa nation pour mettre fin à la société de classe et défendre ses acquis face au monde bourgeois est un acte intrinsèquement patriotique, et ce sans avoir besoin d’instaurer de préférence nationale et sans aucune volonté de dominer les autres peuples.

 

Critique de la contribution du camarade

Méthodologie

Avant toute chose, tâchons de creuser le texte du camarade de la partie la plus superficielle vers la plus profonde. L’aspect méthodologique nous apparaît donc primordial, qu’il s’agisse de logique, de démarche scientifique ou même de rationalité. Nous allons tenter de déceler où le bas blesse dans la contribution du camarade avant d’attaquer la proposition politique qui est amenée, défendue.

Point de départ de la réflexion, le camarade nous donne une définition de ce qu’est une nation :

“Dans sa dimension objective, une nation est un groupe humain assez vaste qui vit sur un même territoire et qui partage des liens économiques, culturels, linguistiques et parfois religieux. Dans sa dimension subjective, qui est le reflet idéologique des éléments objectifs que nous venons de voir, une nation est un groupe humain qui possède un sentiment d’appartenance à une même nation duquel découle la volonté d’avoir un destin commun, un projet politique commun.”

Celle-ci est une combinaison d’éléments empiriques et d’éléments plus subjectifs. Si nous pouvons nous accorder en partie avec elle, il manque cependant un élément essentiel, car elle ne cherche pas à comprendre et analyser la nation dans le cadre de l’évolution des moyens de production, du mouvement de l’histoire : “l’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes”. En clair, la définition donnée par le camarade manque de dynamisme. Si la définition semble prendre en compte un certain mouvement de l’histoire, c’est d’une manière tellement abstraite et désincarnée que finalement la nation a beau être un produit de l’histoire, elle n’en reste pas moins un produit figé. Elle est donc plus un élément théorique qu’une entité matérielle. Comme nous le verrons plus tard dans sa contribution, il existe pour le camarade une France qui ne semble pas être l’ensemble des rapports sociaux existants mais plutôt une sorte de personnalité morale, au caractère et au tempérament forgé par les épreuves qu’elle a rencontrées tout au long de son existence. La complexité de la définition de nation est d’ailleurs un problème quasi insoluble tant il dépend de facteurs pouvant se trouver contradictoires ou annulant l’analyse précédente. C’est pour cela que nous ne pouvons et ne devons pas comprendre la question abstraite de la nation sans sa portée pratique et donc politique.

D’ailleurs, il est essentiel d’adjoindre à la question de la nation, celle de l’État. Si nation et État peuvent exister séparément, depuis le XIXème siècle en Europe, le XXème dans le reste du monde, la combinaison de ces facteurs a été imposée de gré ou de force dans de nombreux pays. La plupart des pays du monde sont basés sur ou tendent à l’interpénétration de ces deux réalités. L’État-nation est l’aboutissement d’un processus historique fortement lié aux classes dirigeantes et aux politiques menées par celles-ci. Si l’on peut observer des développements embryonnaires antérieurs, c’est durant la période moderne que se forgent les premiers États-nations. Les classes dirigeantes, souvent aristocratiques, face à l’agrandissement des empires provoqués par la conquête du Nouveau Monde, un commerce devenu mondialisé et une société développée, se dotent d’institutions administratives et d’une bureaucratie liée au pouvoir central. Il s’agit par là même de renforcer la légitimité monarchique face aux autres aristocrates et à la bourgeoisie naissante. Ce processus se développe en parallèle avec l’affirmation d’une partie de la population sur le reste pour des raisons diverses mais ne pouvant être réduites au simple racisme (unification linguistique pour des raisons administratives, équilibre des forces, déséquilibre économique, etc.). Il s’agit d’un développement et d’une histoire hautement politique qui n’échappe évidemment pas à l’idéologie. Ainsi, si l’outil État-nation finit par quitter les mains des aristocrates, il se trouve récupéré et perfectionné par la bourgeoisie tout au long du XIXème et XXème siècle. Il est donc important de rappeler qu’il ne s’agit pas d’un développement historique neutre et échappant aux projets de ceux qui l’ont orienté pendant des siècles.

Le patriotisme est quant à lui considéré de la manière suivante :

“Amour de la patrie ; désir, volonté de se dévouer pour la défendre.”

C’est donc d’abord un sentiment ; la passion positive, l’attachement qu’on aurait pour sa patrie. D’après la première définition donnée par le camarade, nous supposons que patrie et nation se confondent et qu’il traite donc ici indifféremment de l’attachement pour une culture locale – exemple : l’Occitanie – , ou une nation dans un sens plus vaste ou institutionnalisé – exemple : la France –. Ce sentiment implique nécessairement une attitude morale : “désir, volonté de se dévouer pour la défendre”.

À la lecture de ces définitions, deux remarques nous viennent à l’esprit. Tout d’abord, la proposition politique du camarade semble reposer sur une thèse implicite : un sentiment peut fonder un engagement moral et un engagement politique ; ou cet engagement moral implique son propre réinvestissement dans un projet et une proposition politique.

Ensuite et d’après les dires du camarade, comment pouvons-nous interpréter ce projet politique ? Si nous reprenons les termes utilisés plus haut par le camarade, le but de cette contribution est de défendre qu’un parti communiste devrait se fixer comme objectif d’encourager, de favoriser l’amour pour la personnalité morale et collective qui existe dans la région, la zone géographique, dans laquelle cette organisation et certains de ses membres sont originaires. Cette passion suppose qu’en cas d’attaque contre cette personnalité et les institutions qui la manifestent, il faudra la protéger contre les assaillants. Nous n’évoquons dans cette partie que les implications liées à la méthodologie d’analyse, nous traiterons politiquement de la signification de ces propositions pour les communistes ultérieurement.

Après quelques considérations justes sur l’objectif politique des communistes, le camarade nous dit :

“En effet, c’est dans ce cadre [un contexte historique et politique particulier] que prennent place les institutions politiques qui régissent la société et que se trouve un peuple qui se vit comme tel et a la volonté d’avoir un destin politique commun, c’est donc le cadre pertinent pour mener la lutte politique qui doit conduire au socialisme.”

S’il existe une nation comme personnalité morale, des institutions dans laquelle elle s’incarne, il doit bien évidemment exister un “peuple” qui a modelé cette personnalité morale et qui est guidé par elle. Qu’est-ce qu’un “peuple qui se vit comme tel” ? Qu’est-ce que la “volonté d’avoir un destin politique commun” ? Comment cela se manifeste-t-il ? Le camarade ne donne pas d’explication. Le point de départ erroné l’amène à une chaîne de réflexions elles-mêmes fausses. Sans la France pas de Français, sans Français pas de France ; et voilà, sans même nous en rendre compte, nous voilà écrasés par ces deux idées (abstraites et désincarnées). Plus loin, la contradiction entre l’orientation communiste du camarade et son projet politique patriotique s’aggrave. Il cite Marx : “Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas”. Comment un ouvrier peut-il donc être patriote, s’il n’a pas de patrie ? Le camarade est-il entrain de nous dire que nous devrions chérir et faire aimer une chose que nous ne possédons pas ? Le camarade est-il entrain de nous dire qu’en plus de chérir et d’exiger des militants communistes qu’ils défendent quelque chose qui ne leur appartient pas, tout cela serait favorable à leur libération ? C’est chargé de ces questionnements que nous abordons la suite de notre critique. En effet, le camarade essaie de répondre aux questions soulevées par son approche du problème en usant d’exemples tirés de l’histoire du mouvement ouvrier. Malheureusement pour son argumentaire, la maîtrise partielle des évènements évoqués vient se retourner contre son utilisateur.

Appel à l’actualité et l’histoire

À la suite de l’essai de définition sur le patriotisme, nous trouvons le premier argument d’ordre historique. Il semble que le camarade cherche à se dédouaner de tout chauvinisme en le distinguant du patriotisme. Effectivement, le camarade juge à plusieurs reprises des évènements historiques, des lignes politiques à partir d’une échelle incluant, de la moins grave à la plus impardonnable : Patriote, Social-Chauvin et Nationaliste. Force est de constater qu’il n’y a dans le texte aucune explication des nuances entre ces trois situations. Ainsi, il dénonce :

On peut également penser au révisionnisme qui a gagné le parti communiste français de Maurice Thorez dans les années de l’après-guerre. Celui-ci utilisait en effet l’orgueil national pour préconiser une ‘voix française vers le socialisme'”

Nous pouvons penser ce que nous voulons de cette ligne, là n’est pas la question, mais si l’on en croit l’argumentaire du camarade, les communistes doivent prendre en compte les spécificités nationales pour établir une stratégie de prise du pouvoir, agir en patriotes. Dans cette situation, le PCF des années d’après-guerre semble miser aussi sur cette ligne. Pourquoi la taxer de révisionniste ? Si les communistes devaient être patriotes, nous aurions dans chaque pays une “voie vers le socialisme”. Où se trouve la frontière ? En réalité, les “voies vers le socialisme” sont des stratégies communistes élaborées dans les années 1940 pour faire face aux nouvelles menaces que représentaient le fascisme puis la coalition capitaliste contre le nouveau bloc socialiste. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une stratégie qui pouvait être remise en question initialement, comme le montre les multiples virages d’orientation des années 1920-1930. La question de la patrie est une question d’ordre stratégique voire tactique pour les communistes, non un principe. Le camarade dévoile d’ailleurs juste après le fondement réel du révisionnisme de cette ligne :

qui consistait en pratique à renoncer à être un parti réellement révolutionnaire prêt à prendre le pouvoir par tous les moyens pour promouvoir des méthodes de lutte beaucoup plus institutionnelles.”

La véritable révision se trouvait à l’échelle des principes. Le PCF de la fin des années 1940 est alors en pleine mutation vers le parti de masse électoraliste qu’il deviendra progressivement au cours des décennies suivantes. À l’époque, ce n’est pas la “voie française vers le socialisme” qui est fustigée par les marxistes-léninistes car considérée comme temporaire, obéissant à un contexte et des objectifs précis, mais bien la révision en profondeur du principe de parti révolutionnaire. Là encore, nous sentons poindre le problème fondamental de la confusion des échelles où l’on mélange principes et stratégies, “patriote” et “chauvin”, sans vraiment savoir où l’on va. Les communistes de la période savaient clairement placer les limites de ces termes et les manier avec succès. Une stratégie temporaire en lien avec le contexte ne signifiait pas un reniement des principes. Le terme “social-chauvin” servait à marquer du sceau du déshonneur celles et ceux qui entendaient substituer les intérêts internationaux de la classe pour de soi-disant intérêts nationaux. Le terme patriote ne fait son apparition chez les communistes que dans la phase de confrontation avec le fascisme puisqu’il est un temps nécessaire de faire alliance avec les éléments patriotes des autres classes face à des impérialistes expansionnistes.

Après d’autres exemples, le camarade remet le couvert, avec cette fois l’exemple de la paix de Brest-Litovsk :

Je pense ici notamment à la paix de Brest-Litovsk, conclue par les bolcheviks pour mettre fin à la guerre impérialiste […] Je pense pour ma part qu’il n’y a pas ici de contradiction avec la défense du patriotisme par les communistes. En effet, ceux-ci n’ont ici pas de volonté délibérée de nuire à la patrie mais acceptent simplement un compromis nécessaire en raison d’un rapport de force défavorable. La défense de la patrie, tout comme les autres aspects du projet des communistes ne peut être réalisée que dans la mesure où la situation le permet et il est criminel d’engager la bataille contre un ennemi plus fort au nom de principes abstraits.”

Premier élément à remarquer, il agit là encore en prenant pour axiome une interprétation personnelle de l’état d’esprit des bolcheviques de l’époque. La question de la patrie serait un élément majeur de la manière de penser de Lénine, Trotski ou des bolcheviques. Autre confusion qui n’est pas levée par le camarade : parlons-nous de la patrie bourgeoise ou de la patrie socialiste post-révolutionnaire ? Défendre la révolution n’est pas défendre la Russie. Enfin, là encore le camarade est perdu par ses interprétations des événements. Afin d’éclairer la position de Lénine sur la question, citons cette lettre :

“Nous ne deviendrons partisans de la défense nationale qu’après la prise du pouvoir par le prolétariat, après avoir offert la paix, après avoir dénoncé les traités secrets et rompu toute attache avec les banques. Après seulement. Ni la prise de Riga, ni la prise de Petrograd ne feront de nous des partisans de la défense nationale. (…) Jusque-là, nous sommes pour la révolution prolétarienne, nous sommes contre la guerre, nous ne sommes pas pour la défense nationale.” Lénine, Lénine, Au comité central du P.O.S D.R, 12 septembre (30 août) 1917

Le bolchevique exprime ici clairement l’attachement supérieur des communistes à la révolution plutôt qu’à la patrie. La défense nationale n’est justifiée qu’une fois la prise du pouvoir effectuée, transformant de fait le paradigme de la défense de la Russie à celle du foyer de la révolution mondiale. L’état d’esprit qui règne alors dans les rangs bolcheviques et jusqu’au début des années 1920 est celui de l’optimisme internationaliste, de l’imminence de la révolution mondiale. Les patries, les empires et les nations ne sont alors que des barrières en passe d’être renversées et la cession de territoires aux Empires Centraux n’est qu’un moyen d’acheter du temps en attendant la victoire des révolutionnaires à Berlin et à Vienne.

Vient par la suite pour un temps la question riche et complexe de l’Union Européenne. Casse-tête récurrent pour les communistes ces dernières années, il brouille bien souvent la perception de ceux-ci. Citons les passages du camarade les plus éclairants concernant l’UE :

“normes supérieures aux normes nationales des États membres, et même à leur constitution, sans avoir à se soucier des parlements nationaux sur lesquels les peuples parviennent parfois à avoir un semblant d’influence”

L’argumentaire du camarade se retourne contre lui. Si tout ce qu’il avance est vrai et que nous prenons la situation de manière simpliste, ne vaudrait-il pas mieux pour les prolétaires d’Europe ignorer la question de la nation et l’échelle nationale étant donné qu’elle n’a plus de rôle significatif sur l’exploitation qu’ils subissent ? Plus tôt dans cette contribution, le camarade n’affirmait-il pas que la nation et les institutions politiques nationales étaient “le cadre pour mener la lutte politique qui doit conduire au socialisme” ?

Essayons néanmoins de faire honneur au travail du camarade et de le saisir dans sa complexité la plus haute. Analysons le passage suivant :

Cela permet donc à la classe dirigeante de rendre illégales toutes les avancées rendues possibles par le mouvement ouvrier (on peut par exemple citer les monopoles publics sur l’énergie ou les transports), et de mettre en concurrence les travailleurs de toute l’Europe afin d’aligner leurs droits sur ceux des pays les plus retardataires en la matière, avec les effets désastreux que nous connaissons.”

Le problème ici pointé, encore une fois à juste titre, est que des politiques attaquant la classe ouvrière européenne sont prises à une échelle supérieures aux nations. Les prolétaires d’Europe sont enserrés dans un double traquenard qui d’un côté leur fait accepter des mesures régressives au nom d’une identité “européenne” mais les repousse alors dans une identité nationale qui est tout autant le fruit d’un processus historique mû par des volontés politiques. Ces considérations masquent les liens internationaux réels qui se renforcent avec la division du travail à l’échelle européenne et qui rassemblent dans des rapports de production et d’échange commun l’ouvrier polonais, le technicien allemand, l’employée française et l’étudiant hongrois.

Partant de la même analyse de départ, nous pouvons arriver à des conclusions radicalement différentes et bien plus en adéquation avec une analyse communiste de la question : il s’agit d’un problème dépassant le cadre national touchant les prolétaires de toute l’Europe ; les solutions sont internationales si l’UE est réellement plus forte que les politiques nationales ; et enfin, alors même que ce sujet pourrait couronner la primauté de la question nationale, il s’agit in fine de la mise à nue de la réalité des rapports de classe. Les prolétaires d’Europe, en plus d’être exploités par leurs bourgeoisies nationales, subissent l’alliance mais aussi la concurrence internationale de celles-ci. Mais nous débordons déjà ici sur la suite de notre analyse.

Position communiste

Nous trouvons finalement, au fond du problème, la question de la ligne politique portée. Nous ne proposons pas ici d’élaborer une contre-proposition à celle effectuée par le camarade mais nous souhaitons écarter un ensemble d’idées en désaccord avec les principes communistes. Ainsi, avant d’avancer plus loin, revenons rapidement à la question de l’Europe. Le camarade tire de ses réflexions une conclusion significative. Il nous dit :

“La France n’ayant aujourd’hui plus de bourgeoisie nationale souhaitant restaurer sa souveraineté, le mouvement ouvrier français, malgré les difficultés qu’il traverse, se trouve être la seule force capable de rendre à la France son indépendance”.

Pourquoi devrions-nous lui rendre son indépendance ? Quels sont les arguments qui démontrent que le rôle du mouvement ouvrier est de rendre à la France son indépendance ? Le rôle du mouvement ouvrier est de se libérer de ses chaînes et d’édifier une société juste libérée de l’exploitation et de la domination, cela peut se faire sans rendre à la France son indépendance. Exemple : la constitution d’un état socialiste associant des régions de la Belgique, de l’Italie, de l’Allemagne et de l’Espagne, frontalières à la France. Ce bloc socialiste dont la France actuelle ne serait qu’une portion pourrait arriver à l’objectif suprême des communistes alors même que la France comme état souverain et indépendant n’existerait plus. Ce qui importe aux communistes n’est pas le critère de la souveraineté mais celui de l’autonomie et de l’indépendance ouvrière, du contrôle des moyens de production par le prolétariat et de l’abolition de la propriété privée, des classes et de la société de classe.

Il nous faut persister sur la question de l’internationalisme. Le camarade nous dit :

“Être internationaliste n’exclut pas non plus d’aimer et de vouloir défendre sa patrie tant que cela ne se fait pas aux dépens des autres nations et n’entrave pas l’objectif final de tous les communistes, à savoir la libération des prolétaires du monde entier”.

C’est un galimatias baroque. Certainement que dans le cas où un État serait envahi ou conquis par un autre État dans le but de l’asservir et d’exploiter les prolétaires pour son propre profit, un parti communiste donnerait comme consigne de lutter contre l’envahisseur. Mais en dehors de ce cas radical, que veut dire “défendre sa patrie” ? Est-ce qu’il existe un autre cas où défendre sa patrie veut dire autre chose que sot chauvinisme ou dessein impérialiste ? Existe-t-il un exemple qui n’implique pas de préférence nationale ? Pour ce qui est de l’amour de la patrie, si nous voulions faire une faveur au camarade et tenter de lui donner un peu de raison, nous le définirions comme l’amour des beaux paysages, des belles personnes, des belles institutions et des belles paroles d’une région du monde. Mais les aime-t-il car elles sont belles ou parce qu’elles viennent d’une certaine région ? Car elles sont belles, sinon c’est absurde. Donc l’amour qu’il ressent pour sa région provient des belles choses qu’il y trouve. Mais, toutes les régions du monde n’ont-elles pas d’uniques et belles choses ? L’amour pour son coin de terre n’est finalement qu’un humanisme, un amour du genre humain fractionné. S’il connaissait la cascade de la région voisine, ne la trouverait-il pas belle ? S’il connaissait les poètes de l’autre versant du monde, ne les trouverait-il pas géniaux ? Toutes ces belles choses ne seraient-elles pas dans leur spécificité de même valeur à ses yeux ? Ne mériteraient-elles pas toutes des louanges ? Il est vraisemblable que oui. Si le monde est rempli de belles choses et qu’il en était conscient, il aimerait l’ensemble du monde comme il aime son chez soi. Dans le cas contraire, cela signifie qu’une belle chose est par définition meilleure qu’une autre parce qu’elle est liée à un ensemble déterminé : la patrie. Il y a donc l’introduction d’un principe arbitraire de préférence : cela est mieux car cela m’appartient, car cela vient de chez moi. La conséquence de ceci ne peut être que de considérer qu’il existe une supériorité de ce qui appartient à ma nation sur ce qui appartient aux autres nations. Cette supériorité implique une préférence : “je préfère ce qui appartient à ma nation car cela est supérieur”. Nous posons une question à notre lecteur : finalement, quelle pourrait donc être, pour un parti communiste, une ligne politique patriotique fondée sur ce principe de supériorité et de préférence ? Quelle peut donc être l’utilité d’accentuer ces considérations et ces sentiments dans les masses ? La conséquence n’est-elle pas au bout du compte d’accentuer les divisions illégitimes entre les prolétaires de différentes origines ?

Le camarade assimile patriotisme et communisme sur la base d’un raisonnement qui n’a que l’apparence de la vérité. Nous appelons – en parlant avec les termes de Kant – son raisonnement : la jonction des biens et des buts suprêmes. Attention, ce qui suit se situe à un tel niveau de généralité que cela relève bien plus de l’opinion que de la science. Le but suprême du communisme est la libération du genre humain et l’établissement d’une société sans classe ; le bien suprême du communiste et de tout faire afin d’atteindre ce but. Le but suprême du patriote est de libérer la France ; le bien suprême du patriote est de tout faire pour atteindre ce but. De plus, les Français et la France ne sont-ils pas une fraction du genre humain ? Le but suprême du patriote n’est-il pas une portion indéniable du but suprême du communiste ? Le but suprême du communiste n’implique-t-il pas nécessairement de réaliser le but suprême du patriote ? C’est pourquoi, finalement, être communiste et être patriote, n’est-ce pas la même chose à une échelle différente ? Les deux projets politiques ne sont-ils pas liés par un lien d’appartenance fondamental ? Le raisonnement que nous venons d’exposer est une abstraction idéaliste qui n’a rien à voir avec le marxisme ou le matérialisme. À la limite, nous pouvons peut-être considérer qu’elle relève du socialisme utopique mais lui-même n’a rien à voir avec le socialisme scientifique. En effet, ce raisonnement est fondé sur des abstractions vagues et nie l’existence de la société de classe et ses conséquences historiques et politiques. En tant qu’élan (socialiste) utopique, la réflexion et la position du camarade pourraient être considérées comme une sorte d’humanisme candide et touchant. Il est l’humanisme moral pendant de l’humanisme culturel que nous avons exposé plus haut. Mais nous sommes à peu près certains que tout cela n’a rien à voir avec ce qu’est effectivement, actuellement, dans la réalité – au-delà, en dehors de l’esprit du camarade – le patriotisme.

Conclusion

Nous trouvons un point commun entre la réflexion produite ici par le camarade et celle produite par un autre camarade au sujet de l’aversion pour la police. Dans les deux cas, le passionnel joue un rôle politique important. Que voulons-nous dire par là ? Que l’aversion ou la sympathie pour une chose, un événement historique, une situation concrète, sont posés tout à la fois comme la source, la justification, l’explication et le déterminant fondamental de l’engagement militant, de l’activité politique. Que pouvons-nous dire de cela ?

Tout d’abord, nous voulons dégager une incompréhension. Il est évident que le fait de développer des sentiments positifs ou négatifs à l’encontre d’objets qui nous impressionnent est un fait, une dynamique nécessaire et contre laquelle nous, auteurs de cette critique, n’avons rien à redire. Cependant, la question du sentiment prend pour nous l’importance que lui donnent nos camarades. En effet, les deux contributions que nous venons de citer cherchent à nous convaincre que la question sentimentale et la question politique sont intimement liées ; que d’un point de vue général le sentiment est politique et ce qui est politique est sentiment – pour parler comme les défenseurs de ces conceptions. De plus, dans ces deux cas précis, la question sentimentale a un rôle à jouer pour une entité collective – un parti – adoptant une orientation politique stricte – le communisme – cherchant à répondre au problème pratique : que faire ? Quelle devrait être notre stratégie ? Quelle devrait être notre tactique ? Les sentiments d’aversion, de sympathie, d’injustice, etc. ne sont plus seulement un élément d’explication, au niveau biographique et individuel, de l’engagement d’un camarade, mais le cœur de la question politique.

Comme nous avons pu le constater par la critique des deux contributions citées, ce saut qualitatif du sentiment est très difficile à opérer. Dès que l’on passe d’une conception morale de l’engagement politique à une conception pragmatique, alors l’édifice s’écroule. En effet, et nous devrions peut-être le regretter car cela nous éviterait de nombreuses et difficiles réflexions, mais la spontanéité du sentiment ne donne aucune indication politique particulière, en particulier en termes de programme, d’activité concrète et collective, de stratégie et de tactique. Nous sommes convaincus que ceux qui vous disent le contraire sont des charlatans. Il conviendra de le démontrer absolument dans un travail ultérieur.

D’où peut bien venir alors cette tendance fausse et pourtant partagée tant chez le commun que dans le milieu militant progressiste ? Des sources multiples pourraient être invoquées. Une des plus significatives est l’état de délabrement du mouvement ouvrier et ses conséquences théoriques et scientifiques. Le manque de perspective politique – la victoire et la libération semblent si improbables – , de structures de coordination – où donc puis-je trouver le parti des révolutionnaires ? – et d’organisation concrète – encore un autre malheureux samedi à me faire gazer sans objectif tactique clair – produisent un élément psychologique partagé à une si grande ampleur qu’il en devient objectif : le désespoir. Les conséquences de ces éléments objectifs et de leurs implications subjectives sont l’élaboration de théories fausses et simplistes pour palier à la triste réalité. Quelles sont ces théories ? Romantisme, individualisme, qui ont pour point commun de restreindre le caractère pratique du réel et d’ériger le sentiment en sauveur de la classe ouvrière ; de substituer l’opium relaxant de l’utopie à la difficile et contraignante tâche de mise en application de la science.

Depuis maintenant quelques décennies, nous voyons les organisations et militants du mouvement ouvrier se tourner vers la simplicité, la facilité politique. Particulièrement pour les communistes qui vivent leurs heures les plus sombres, le chemin le plus court vers le développement apparaît alors comme la voie royale. Ainsi le patriotisme, largement répandu dans la population, apparaît comme un expédient bon marché pour regagner des forces. Et si tous les chemins mènent à Rome, ce n’est pas le cas pour le communisme. Les militants communistes représentent une avant-garde, non pas uniquement en termes théoriques et pratiques, mais aussi de par le projet de société qu’ils portent. Nous combattons pour l’émancipation de l’humanité, des travailleurs de toutes les nations, peu importe leurs différences individuelles ; nous n’avons pas l’ambition de faire perdurer les idées réactionnaires héritées de la période capitaliste. Le patriotisme et son développement s’opposent par là même à long terme au projet communiste. Nous ne pouvons le favoriser gratuitement sans que cela soit nécessaire car il est un poison pour nos idées. N’oublions pas que ce sont des germes de la production artisanale qu’émerge le capitalisme et qu’il n’y a qu’un pas entre le patriotisme et le nationalisme.

Ces idées que nous défendons, nous communistes, s’inscrivent dans ce que nous appelons des principes. Il s’agit des éléments politiques constitutifs du marxisme-léninisme sur lesquels nous ne transigeons pas et qui dirigent sur le temps long l’action des communistes. Les principes ne sont pas à confondre avec la stratégie et la tactique. Ces dernières sont soumises à contrario des principes au contexte particulier du moment, elles sont le fruit d’une réflexion face à une situation concrète appelant une réponse politique. La stratégie et la tactique, si elles se trouvent subordonnées aux principes, doivent pouvoir jouir d’une latitude suffisante pour permettre le triomphe final de l’idéal communiste. Ceci étant dit, nous ne pouvons que déplorer le flou, voir l’incompréhension des différences et de la complémentarité de ces deux sphères dans la contribution du camarade. Le patriotisme doit-il être employable dans le domaine de la stratégie ou de la tactique ? Dans ce cas, la possibilité est abordable même si elle reste une solution de recours dans un contexte bien particulier, comme nous l’avons expliqué dans notre développement. Ou bien est-ce un élément à ajouter aux principes communistes, quand bien même il entre en contradiction avec d’autres ? La réponse ici ne peut être que non.

Au-delà de ces considérations générales, il nous reste encore quelques mots à dire au sujet du travail fourni par le camarade. Nous souhaitons exprimer quelques regrets.

Comme ébauché précédemment, à aucun moment le camarade ne parle explicitement et spécifiquement de stratégie et de tactique politique, alors même que les premières lignes nous le laissaient présager. La discussion ne descend même jamais au niveau pratique le plus simple. On ne se demande jamais : qu’impliquerait comme pratique au quotidien d’être patriote ? Qu’impliquerait comme activité politique collective une orientation patriotique ? Spontanément, nous ne voyons rien d’autre que l’organisation de commémorations des faits de bravoure, des exploits des militants et militantes communistes, socialistes, des militants et militantes anarchistes ou syndicalistes. Comment organiser ces commémorations ? Sont-elles utiles ? Ont-elles aujourd’hui un intérêt ? Quel serait le rapport coût/bénéfice si l’on venait à y faire référence ? Comment dépoussiérer cette pratique qui semble venir d’un autre âge ? Toutes ces interrogations sont à nos yeux des questions plus intéressantes et importantes que les rêveries naïves dans lesquelles nous a entraîné le camarade.

La question des commémorations amène à un point important de notre critique. Si par exemple, dans le Sud-Ouest l’on commémore des faits de bravoures effectués par des résistants, est-ce que nous les célébrons spécifiquement car ces faits se sont passés sur le sol français et ont été réalisés par des personnes de nationalité française ? Non. La nationalité et le lieu sont des éléments effectivement empiriques mais qui sont accidentels. Ce que l’on célèbre, c’est que ce soit des militants communistes, socialistes, anarchistes, etc. qui ont fait des actes de bravoure (se sacrifier personnellement) dans un but juste (la lutte contre l’oppression et la domination). Qu’ils soient Français, peu importe. De nombreux héros résistants étaient des étrangers. Des différentes objections et réflexions que nous avons élaborées, nous en déduisons que s’il fallait susciter un sentiment, une passion, ce ne serait pas une passion pour la nation ou la patrie, mais l’amour et la révérence pour les militants du mouvement ouvrier. Je ne suis pas fier d’être Français, je suis fier de l’histoire du mouvement ouvrier en France. Mais aussi en Russie, en Allemagne, etc. Finalement, je suis plus un communiste qu’un Français ; j’ai plus d’amour et de sympathie pour mes camarades communistes, peu importe leur nationalité, que pour mes concitoyens, qui en plus pour certains souhaitent la ruine et la servitude des travailleurs.

À ce sujet, il nous faut prévenir une incompréhension. Il serait bien puéril de nous rétorquer que factuellement nous commencerons sûrement, pour des raisons matérielles – proximité géographique, accessibilité du matériel historiographique, etc. – à rendre hommage et à susciter de la sympathie pour les militants du mouvement ouvrier en France. En effet, mais cela signifie seulement que nous prenons en compte encore la réalité concrète et que nous sommes pragmatiques – encore heureux en tant que communistes ! –, pas du tout que nous sommes patriotes ou que nous avons une orientation politique patriotique.

Avec toute la sympathie que nous avons pour le camarade, nous sommes néanmoins obligés de conclure de notre critique qu’il n’a pas répondu au problème qu’il a lui-même posé, qu’il n’a même que très peu abordé la question : est-il pertinent pour un parti communiste en France, ou pour un futur parti communiste en construction, d’adopter une ligne politique patriotique ?

Nous tirons cependant deux grandes conclusions de notre travail de commentaire.

L’amour de la patrie ne peut être soit qu’une vision réduite d’un amour plus grand pour les Hommes, les cultures locales, la beauté des lieux naturels par méconnaissance du reste du monde. Soit un nationalisme déguisé puisqu’il nierait aux autres nations la possibilité de donner au monde toutes ces qualités citées précédemment.

À cela s’ajoute l’observation d’une dynamique méthodologique que nous observons régulièrement chez nos camarades : tirer des conclusions de manière irraisonnée des critiques justes qu’ils peuvent formuler au sujet d’orientations politiques erronées. Ces conclusions aboutissent à des propositions ayant pour but de nous différencier, de nous éloigner absolument des positions critiquées, comme si par dégoût nous ne devrions rien avoir en commun avec elles ; sinon, elles nous conduisent à des propositions douteuses qui consistent à marcher sur les plates-bandes de nos ennemis politiques afin de prendre leur place et les battre sur leur propre terrain. Autrement dit, critiquer les gauchistes ne veut pas dire que notre stratégie doit être faire l’exact contraire de ce qu’ils font.

Mais ce n’est pas tout. Il nous faut aussi faire comprendre à nos lecteurs que ce n’est pas parce que n’importe quelle notion, thème, sujet ou lutte sont repris avec quelque succès par les forces réactionnaires, que nous devons lutter pour les doubler sur ces questions. En effet, les forces réactionnaires entretiennent les sentiments néfastes qui existent dans les masses et réussissent à les persuader qu’elles sont parties d’une entité collective supérieure : la France ! Et que celle-ci serait le bien le plus précieux que nous possédions. C’est pourquoi, la chose la plus noble que nous puissions faire est de la défendre et de nous sacrifier à sa grandeur. Que devrions-nous dire à ce sujet en tant que communistes si ce n’est que tout cela est absurde et que malheureusement une grande partie de nos frères et sœurs prolétaires se font mener du bout du nez ? On nous rétorque : “vous avez peut-être raison, mais ne fait-il pas de vous des idéalistes de nier une réalité aussi concrète et indéniable que la force de l’affect national qui sévit dans les masses ?”. Avant toute chose, qui vous a dit que d’un point de vue tactique, nous ne prenons pas en compte cette situation déplorable ? Le camarade qui tient de tels propos doit être mal informé.

Arrêtons-nous au niveau des principes et faisons une analogie : est-ce que parce que la croyance en Dieu est un sentiment répandu dans les masses et que les courants réactionnaires en font leur cheval de bataille, nous devrions aller les combattre pour leur arracher, pour leur reprendre Dieu et le faire nôtre ? Que les bigots gardent leur Dieu, leur prêtre et leur curé si cela leur importe ! Il en va de même pour la patrie ! Que ceux qui le souhaitent gardent leur région, leur France, leur drapeau, leur chant et leurs symboles. Il n’importe à un parti communiste que de comprendre comment faire concrètement, effectivement, pour abolir la propriété privée des moyens de production et l’exploitation qui en découle. Faudra-t-il pour cela s’allier épisodiquement avec des forces aux “positions patriotiques” ? Peut-être. Mais ce ne sera rien de plus qu’un compromis tactique. Jamais l’ignorance et les chapes de plomb qui oppriment aujourd’hui la classe ouvrière ne seront érigées en fondement de la société future ! Si indéniablement, nous devons instaurer ou nous reconnaître une préférence, elle n’ira pas à celui-ci car il parle la même langue que moi ou à telle autre car elle à appris la même histoire nationale à l’école, mais à tous les travailleurs et les travailleuses dont le bonheur a été volé et le potentiel contraint par un régime inique ; ainsi qu’aux militants communistes qui ont sacrifié parfois jusqu’à leur vie, dans l’espoir que les générations futures puissent vivre une vie meilleure.

Mais finalement, quelle utilité de se poser toutes ces questions sentimentales ? Quel rôle joue l’orientation de notre tendresse et de notre sympathie dans notre capacité à prendre le pouvoir ? Au risque de paraître navrant pour les magiciens pseudo-marxistes contemporains, nous préférons garder la juste et directe devise qui nous a été léguée par nos pères et nos mères communistes :

“Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”