La question du logement – Ep. 2 : Comment régler la crise du logement en France ?

 Dans la première partie de notre analyse de la question du logement en France, nous avions exposé les faits et la détresse de près de 14 millions de personnes sur le territoire1. Cette situation ne laisse évidemment ni les pouvoirs publics ni les divers courants progressistes sans réponses. Chacun à sa manière et selon ses propres impératifs idéologiques va apporter des propositions pour tenter de régler cette problématique. C’est ce que cet article entend analyser. Sur la question du logement, il existe 3 grands courants politiques qui se démarquent nettement : les capitalistes, les anarchistes et enfin les socialistes. Les diverses politiques de logement des partis politiques en France se positionnent toujours en rapport à ces grands pôles.

Solutions capitalistes

Le premier est évidemment celui des solutions proposées par les capitalistes. Loin de vouloir laisser la question du logement se transformer en poudrière, la bourgeoisie essaie d’acheter une fois de plus la paix sociale. Cependant, elle ne perd pas de vue le fondement de son existence : assurer le maximum de profits aux capitalistes.

Dans cette optique, depuis les années 1950, elle cherche à offrir à la petite bourgeoisie et à l’aristocratie ouvrière tout le confort de la propriété privée. Dans cette veine, nous voyons se développer les crédits à la consommation et les crédits immobiliers. Chaque travailleur doit devenir propriétaire de son logement, de ses moyens de transports, etc. Ainsi, si la propriété libère le travailleur des frais d’un loyer, la valeur de sa force de travail en est réduite. Le salaire sera réduit à la hauteur de l’économie faite2 par le capitaliste. Pourtant cette solution ne permet qu’à une seule partie du prolétariat et à la petite-bourgeoisie de sortir de la précarité du logement, elle ne permet pas de sortir les gens de la rue ou de créer de nouveaux logements. De plus, le crédit ne serait une solution viable qu’en période de croissance permanente, de maintien des taux d’intérêts à de bas niveaux et bien sûr sans compter sur la spéculation financière. En France, par exemple, entre 1997 et 2007, les prix de l’immobilier ont augmenté de près de 142%3. Si vous souhaitez en savoir plus sur les origines, l’impact des bulles immobilières et de la spéculation, nous vous conseillons de regarder «The Big Short», film d’Adam Mckay de 2015 avec Ryan Gosling et Christian Bale. Un des autres axes de la gestion capitalistique, c’est bien sûr de vastes projets de construction ou de rénovation de quartiers entiers dans le but de récupérer de larges profits grâce à la spéculation et aux loyers élevés. Les projets de gentrification des centres villes, sous couvert de se débarrasser de logements insalubres, expulsent les prolétaires. Le but est de rénover les logements pour ensuite les vendre ou les louer à des prix exorbitants. D’un autre côté, nous avons la création de zones pavillonnaires où sont logées les couches hautes du prolétariat et la petite-bourgeoisie. Ceux-ci sont d’ailleurs bien souvent séduits par le modèle de la maison familiale, largement promu par la bourgeoisie, et sont à l’initiative de la construction de leur logement. Les lotissements d’habitations familiales se multiplient, pourtant dans le même temps on remarque une séparation durable avec les logements du prolétariat le plus précaire. Ce dernier reste cantonné aux locations dans les barres HLM des années 1960-1970. Ce processus de division spatiale se comprend avec la nouvelle division du travail capitaliste et la bascule idéologique depuis les années 1990. Les prolétaires très qualifiés ne rêvent plus des grands ensembles collectifs vantés par le PCF des années 1950, il faut désormais, et selon des modèles culturels divers, montrer son accès à la propriété4. Pourtant, si les capitalistes semblent avoir remporté la bataille idéologique, les contradictions entre ce rêve et la réalité s’accentuent. La précarité et la baisse du niveau de vie dues à ce même système ne permettent pas une sortie de crise. Les divers gouvernements tentent alors d’utiliser les pouvoirs de l’État pour imposer aux promoteurs et rentiers des encadrements de loyer, des baisses des coûts du logement, mais aussi toute une batterie de mesures pour tenter d’endiguer la crise du logement. En France, nous avons avec le gouvernement Macron l’exemple de la loi Elan5. La loi prévoit une réduction du prix des loyers des logements sociaux en échange de la vente au privé d’une grande partie du parc immobilier public. Un grand projet de construction de HLM est aussi vanté avec des objectifs à 40 000 logements créés par an. Ces objectifs restent cependant des vœux pieux et les constructions annuelles peinent à atteindre 8 000 nouveaux logements. N’est pas planificateur qui veut. Le capitalisme ne peut pas résoudre la question du logement. Ce problème est inhérent à son système.

Solutions anarchistes et milieux alternatifs

Face à la crise du logement, le milieu anarchiste et les milieux alternatifs qui gravitent autour se sont très tôt penchés sur la question.

Déjà en 1892, le théoricien libertaire russe Kropotkine livrait sa vision de la gestion du phénomène dans La Conquête du Pain. Partant lui aussi d’un constat d’une profonde inégalité de répartition du logement et de la spoliation des travailleurs par les propriétaires, il appelle à une grande expropriation des logements bourgeois. Ces derniers seraient partagés entre les travailleurs. Un projet de construction de villes nouvelles serait ensuite lancé avec l’élan révolutionnaire. Le chapitre sur le logement6 de Kropotkine, s’il est bâti sur un constat et des analyses pertinentes, se perd dans la partie sur les solutions dans un projet uniquement volontariste et basé sur l’auto-organisation des masses. Selon lui, les projets urbanistiques seraient le fruit de l’élan créateur des maçons, plaquistes et architectes du monde nouveau. Cette vision quelque peu utopiste de l’avenir se comprend dans la foi d’une grande partie des anarchistes en la spontanéité des masses. Si cet élément est évidemment à prendre en compte dans un processus révolutionnaire, il paraît hasardeux pour ce qui est de l’organisation entière d’un plan de restructuration urbain et de gestion de la question du logement. Les anarchistes d’aujourd’hui ont quant à eux élargi leur panel de tactiques sur le sujet. Dans son journal bimestriel, Infos et Analyses libertaires, la défunte Coordination des Groupes Anarchistes propose un ensemble de solutions7 pour lutter contre les prix des habitations et la pénurie de logements. La réquisition immédiate des logements est la première mesure avancée. Cette mesure, qui peut être prise dès maintenant, a pour but d’occuper tous les logements vacants afin de fournir un toit aux personnes qui en sont démunies. Cette initiative est la mère du mouvement «squat», de même que le principe de gestion des habitations par les assemblées de résidents. Dans le même temps, cette action est censée entraîner une chute des prix, dans la mesure où la saisie des logements vacants fait chuter la «demande»  des locataires. Nous partageons à Reconstruction Communiste avec les anarchistes l’idée d’une nécessité de réquisition immédiate des logements vacants et d’une redistribution des habitations de grandes surfaces. Cependant, cette solution n’est viable qu’à très court terme. Les causes de la crise ne sont pas traitées avec cette proposition et bien vite il faudra trouver de nouveaux logements pour les nouveaux cortèges de démunis produits par le capitalisme et l’impérialisme. Globalement, les anarchistes ne proposent que des tactiques, et pas de stratégie d’ensemble sur la question du logement. L’objectif d’un squat par exemple est au mieux une solution réformiste en espérant que par inertie, l’occupation devienne légale, ou au pire une mesure d’urgence érigée en modèle de vie.

Solution socialistes et marxistes

Pour commencer à entrevoir de véritables projets d’ensemble sur la question du logement, il faut regarder du côté des socialistes. Nous devrons cependant distinguer le modèle réformiste type PCF/PS de celui des révolutionnaires.

Ces premiers ont opté depuis les années 1980 pour une politique du logement que nous pourrions qualifier de social-opportuniste, dans le sens où ces partis gèrent la question de manière capitaliste tout en modérant celle-ci pour satisfaire leur électorat issu des couches qualifiées du prolétariat et de la petite-bourgeoisie intellectuelle. Les logements sociaux construits dans les centres-villes ont pour but de faire baisser les prix du logement localement pour permettre à ces catégories de la population de pouvoir rester. En effet, le processus de gentrification des grandes villes joue à long terme contre ces partis qui risquent de voir leur électorat déserter leurs circonscriptions. Nous voyons donc au fil des ans les politiques de la ville et du logement s’embourgeoiser dans les grands centres urbains proportionnellement aux mutations de classes que connaissent les quartiers8. En soutenant la gentrification des villes, les partis de gauche institutionnels comme le PS ou le PCF creusent eux-mêmes leurs tombes. À vouloir jouer le jeu de la bourgeoisie, ils se coupent de l’objectif central qui est de fournir un logement décent à tous, ce qui ne peut se conjuguer avec l’adoption de méthodes bourgeoises d’urbanisme. Les marxistes révolutionnaires, comme Reconstruction Communiste, proposent eux un plan large et en plusieurs temps pour résoudre la question du logement.

  • À court terme, nous proposons la réquisition de tous les logements inoccupés ; la répartition du logement en France selon le critère «À chacun selon ses besoins». Ces mesures d’urgences nécessaires s’imposent aujourd’hui comme une évidence dans toute la gauche révolutionnaire des communistes aux anarchistes. Cependant, elle doit s’inscrire dans un processus plus global et de long terme.
  • À moyen terme, nous proposons l’organisation d’un «Plan au logement». Celui-ci entend la rénovation et l’amélioration des logements existants en France pour permettre à tous de jouir d’un logement décent, respectueux des normes de santé et environnementales. Il comprend aussi la construction de nouveaux logements de type collectifs, inscrits dans une nouvelle démarche urbanistique décentralisée permettant de faire éclater la concentration des centres-villes. Nous amorcerons aussi un processus de répartition du logement à travers le territoire national pour désenclaver le monde rural, trop souvent oublié dans les pays impérialistes.
  • À long terme, nous devons œuvrer à l’élaboration d’un urbanisme socialiste nouveau. Des politiques de grands travaux devront remodeler les villes existantes pour répondre aux défis du futur, particulièrement celui du climat et d’une meilleure gestion de l’espace. La question du logement doit être intimement liée aux autres problématiques de la société contemporaine comme les transports, l’approvisionnement, l’accès au lieu de travail, les infrastructures publiques.

Cependant, ces mesures d’urgence, comme les projets utopiques de villes socialistes de l’avenir, ne peuvent voir le jour sans une stratégie révolutionnaire permettant d’accoucher d’un système neuf, d’un mode de production socialiste, d’une organisation socialiste de la société. En effet, comment réquisitionner les villas secondaires de la bourgeoisie sans casser son pouvoir politique ? Comment préparer les villes du futur sans capacités productives pour accomplir ces tâches ? Comment coordonner tous ces efforts sans planification et sans un urbanisme rationalisé ? La réponse est à trouver dans la force des travailleurs organisés, dans la capacité des organisations syndicales et partisanes révolutionnaires à mener ces derniers vers la société nouvelle. Pour mettre fin à la misère et à la crise du logement, il faut en finir avec le capitalisme, pour permettre l’émergence d’une société nouvelle. Une société socialiste.

1. Article RC sur le logement première partie : ici.

2. Engels Friedrich, La question du Logement, 1872

3. Tonino Serafini, La pierre trop lourde pour les français, Libération, 8 septembre 2007

4. Anne Lambert, « Tous propriétaires ! » L’envers du décor pavillonnaire, Paris, Seuil, 2015

5. Emmanuel Macron tient sa grande loi sur le logement (Elan), Capital, 20/09/2018

6. Kropotkine, La Conquête du Pain, Chapitre Logement, 1892

7. Infos et Analyses Libertaires, n°75, Des analyses et des propositions anarchistes sur la question du logement, page 3, Janvier-Février 2009

8. Voir programmes des partis de gauche pendant les municipales 2020, nous constatons une mutation de ligne sur la question du logement.