La question du logement – Ep. 1 : Comment expliquer la crise du logement en France ?

Ils seraient 200 000 en France1.

Mais qui aujourd’hui fait attention aux personnes vivant dans la rue ?

Objectivement, une personne sur mille ? Pourtant, loin des grands discours sur la pauvreté, ces femmes et ces hommes, enfants comme vieillards, affrontent tous les jours les conditions fixées par notre système, la météo et les imprévus. Qu’ils vivent à même le sol, dans une tente, isolés ou en groupes, ils se battent pour tenter simplement de vivre humainement au jour le jour. Nous pouvons les trouver présents dans toutes les grandes villes de France et cependant ils sont invisibles. Ils sont chassés loin des centres-villes, repoussés à l’abri des regards. Le mot d’ordre en France est : «cachez ce que je ne saurais voir».

Or, en bons matérialistes que nous sommes : ne pas voir un problème ne signifie pas qu’il n’existe pas.

Plus invisibles encore sont les mal-logés, ces personnes qui vivent dans des habitats insalubres ou qui s’entassent, trop nombreux, dans un espace trop petit. Ces problèmes forment un tout et sont systématiques dans le régime capitaliste. Il faut donc les décrire, les analyser, les expliquer.

Pour commencer à réfléchir à cette problématique, nous analyserons de manière non exhaustive un exemple. Nous nous efforcerons de nous concentrer sur le cas de la France contemporaine, néanmoins vous comprendrez au cours de l’article que ces mécaniques trouvent des dénominateurs communs universels malgré des contextes divers.

Bienvenue en France

Avant tout, parlons peu, parlons chiffres. Il nous faut nous immerger dans la réalité du logement de la France d’aujourd’hui.

La France est une puissance capitaliste de premier ordre. Contrairement au discours décliniste quasi-unanime de la classe politique, nous sommes dans un pays riche. Malgré cela, les inégalités sont partout visibles, particulièrement dans l’accès au logement.

Tout d’abord, faisons un rapide état des lieux du parc d’habitations en France.

Nous avons, sur l’ensemble des logements en France en 2018, 80% de résidences principales, c’est-à-dire de lieux de résidence habituels et officiels. Viennent ensuite les logements secondaires avec un taux d’environ 10%, qui servent le plus souvent de lieu de villégiature pour les classes possédantes françaises. Et enfin, il y a aux alentours de 10% de logements vacants, c’est-à-dire qui sont tout simplement inoccupés, de manière momentanée ou permanente.2 La première remarque est que nous voyons que 20% du potentiel de logement français est inoccupé. Cela comprend d’ailleurs aussi bien les logements collectifs style HLM3 que ceux dits individuels comme une maison pavillonnaire. Nous distinguons alors un problème : des logements inoccupés et pourtant des centaines de milliers de personnes à la rue.

En effet, il faut intégrer dans un ensemble plus grand les 200 000 personnes vivant dans la rue. Celui des 896 000 personnes sans logement personnel4, c’est à dire vivants dans des hôtels, foyers pour SDF, vivant même parfois directement sur les chantiers de construction pour les travailleurs itinérants. Car il faut bien comprendre que vivre dans la rue ne signifie pas pour autant être au chômage5.

Voilà une première contradiction. Mais à regarder de plus près, avoir un logement ne signifie pas confort.

En France, comme partout dans le monde, le phénomène du surpeuplement touche un grand nombre de foyers. Les estimations de 2013 avaient compté 8,6 millions de personnes touchées par le surpeuplement en France6. Ces familles en situation de précarité peinent à trouver des logements à des prix convenables, elles sont alors obligées de s’entasser parfois à 5 dans des 13m2. Ceux et celles qui connaissent la vie dans un 9m2 comprendront vite quel enfer quotidien cela devient dans pareille situation. Les logements sociaux sont parmi les plus touchés par le surpeuplement.

À toutes ces situations extrêmes, il faut y ajouter les personnes souffrant du froid à cause de la précarité des logements ou pour causes financières (les loyers impayés, les personnes en situation d’effort financier excessif). Nous arrivons donc pour la France à un total de 14 632 000 personnes souffrant à divers degrés de la gestion du logement par le système capitaliste7. Le problème est posé. Comment l’expliquer ?

Les logiques du capitalisme

Retracer l’origine de l’inégale répartition des logements, c’est retracer celle de la répartition des richesses. Depuis l’apparition des classes sociales, le problème a traversé les âges à des degrés divers et variés. C’est avec les débuts de l’ère du capital que les prolétaires viennent à s’entasser massivement dans les rues et dans des espaces exigus. À ce moment là, la petite propriété paysanne se délite, des familles viennent par milliers chercher du travail en ville.

Aujourd’hui, l’exode rural ne peut expliquer l’accentuation de la crise. Elle s’explique aujourd’hui d’une part par l’arrivée de travailleurs immigrés en quête d’une vie meilleure en France. Ils représenteraient 40% des SDF. Issues le plus souvent de pays francophones sous influence impérialiste française, ces populations fuient la misère de leurs régions natales. De plus, ces personnes risquent l’expulsion à tout moment. Leur situation d’immigrés illégaux les pousse à se tenir à distance des organismes d’État, de peur de se retrouver face à la police.

Sur l’autre versant du problème, nous avons toutes les personnes n’ayant jamais connu de logement personnel, le plus souvent en rupture familiale, qui vivent à la rue depuis parfois très jeune. Mais aussi et surtout des travailleurs déclassés par la précarisation de leur situation. La perte de l’emploi signifie aujourd’hui en France descente aux enfers. Ne pouvant plus assumer les frais de logements qui représentent une part importante du budget annuel des Français, 30% en moyenne8, c’est la perte de logement quasi-assurée. L’extension du marché de l’intérim, des petits boulots et des contrats ultra-courts ne nous conduisent pas vers de meilleurs jours.

L’accentuation de la crise du logement doit être analysée sous le prisme du recul de la stabilité de l’emploi. Si le capitalisme sous la pression d’un mouvement prolétarien fort peut résorber en partie la crise du logement par l’investissement étatique et une politique de protection des travailleurs, en période de crise, c’est la loi du profit qui domine à nouveau sans complexe.

Ainsi la construction de logements sociaux plonge, car ces premiers sont bien moins intéressants pour les promoteurs que la construction de logements à loyer élevé. La spéculation sur ces derniers peut rapporter gros.

Le processus de gentrification des centres-villes suit ces logiques. Le but est de repousser les prolétaires des centres-villes où ils avaient été installés à la faveur de politique sociale. Les quartiers à bas loyers sont rasés, les terrains améliorés pour en augmenter la valeur, puis on y construit des habitations modernes aux loyers inaccessibles pour les classes populaires. Ces dernières sont alors poussées vers la périphérie. Ainsi, la ville de Paris a perdu 9% de sa population entre 2012 et 2018, dont les revenus sont compris entre 10 000 et 20 000 euros par an. A l’inverse les foyers déclarant plus de 100 000 euros de revenus annuels ont augmenté de 20% sur la même période9.

D’année en année, la ségrégation socio-spatiale de classe refait surface.

À qui profite le crime ?

À la barre des responsables, nous trouvons en premier lieu les promoteurs immobiliers, les propriétaires fonciers et autres logeurs privés. Tous ces propriétaires particuliers qui font louer leurs logements à des familles en quête d’un toit, pratiquent sans le savoir une forme, pour reprendre une formule chère à la droite, «de parasitisme social». Cette fois, l’expression est précisément correcte.

En effet, le propriétaire ponctionne directement une part du salaire ou du revenu de ses locataires. Mais payer le logeur ne permet pas d’expliquer la composition d’un loyer. Nous proposons ici directement l’analyse faite par le militant révolutionnaire et socialiste, Friedrich Engels, au XIXème siècle. Et si son ouvrage sur la question date, la pertinence, elle, reste inchangée. Ainsi dans La Question du Logement de 1872, Engels montre que la décomposition du loyer10 suit ce schéma :

  1. Le paiement de la rente foncière (c’est-à-dire la part qui tombe directement dans la poche du propriétaire)
  2. Le paiement des intérêts du capital investi dans la construction, y compris le profit de l’entrepreneur
  3. La somme pour frais de réparations et assurances
  4. Les annuités qui amortissent le capital investi, y compris le profit, proportionnellement à la détérioration graduelle de la maison

Nous comprenons derrière cette analyse que pour les propriétaires, il est essentiel d’élargir au maximum la part 1 au détriment de la 3 : les événements malheureux qui font quotidiennement partie intégrante des faits divers des médias sur les conditions sanitaires de certains logements, d’incendies provoqués par un non respect des normes de sécurité ou encore des effondrements de balcons. Ces malheurs portent le sceau de l’indifférence des propriétaires pour les locataires.

Derrière, ce sont les patrons qui se frottent les mains. Une main-d’œuvre sans toit est prête à tout pour retrouver une situation stable, quitte à sacrifier ses droits et l’espoir d’un juste salaire.

Revenons cependant à la raison. Les propriétaires, comme les patrons, ne font pas cela par pur sadisme ou goût de la misère humaine, quoique pour certains l’on peut en douter.

Les responsables ne sont pas des individus, mais des éléments de classe sociale vivants de la propriété privée. Nous avons vu dans cet article s’articuler les rouages du capitalisme en France, étendant ses fils par le biais de l’impérialisme jusqu’à l’étranger. Et l’un des symptômes de ce mal est celui de la crise du logement. Les marxistes analysant le monde de cette manière proposent une alternative au monde capitaliste et une porte de sortie de la crise du logement. Les capitalistes, eux aussi, proposent de corriger ce qu’ils croient être réparable. Comment savoir quelle issue semble la plus réaliste ? Est-il possible d’en finir avec la précarité du logement, la vie à la rue? Logement décent pour toutes et tous rime-t-il forcément avec révolution ?

C’est ce que nous tenterons de déceler dans un prochain article sur le sujet.

Bibliographie

1Cloris Julie, «Grand Froid: près de 200 000 sans abri en France», Le Parisien, 1 février 2019

2Arnold Cécile, «Le parc de logement en France au 1er janvier 2018», division Logement, Insee, 2 octobre 2018

3-HLM = Habitat à loyer modéré

4L’état du mal-logement en France 2018, rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre

5Saint-Cricq Thomas, «Ils ont un emploi, un contrat mais vivent à la rue», Médiapart, 27 août 2014

6-Pasquesoone Valentine, «Mal-logement : trois questions sur le surpeuplement en France pointé du doigt par la Fondation Abbé Pierre», France Télévisions, 30 janvier 2019

7-Ibid: rapport Fondation Abbé Pierre

8Evolution, consommation des ménages», Finance pour tous, février 2014

9De Livonnière Stanislas, «Paris se vide… de ses travailleurs pauvres», Le Parisien, 11 septembre 2019

10-Engels Friedrich, La Question du Logement, 1872