La ligne de Reconstruction Communiste au sein des SELA

L’intervention dans les syndicats est un devoir pour les communistes, particulièrement dans les pays capitalistes où il existe encore des structures regroupant des centaines de milliers de prolétaires. Cette mission historique se décline sous plusieurs formes selon les contextes mais suit un fil conducteur pour Reconstruction Communiste : développer les syndicats de lutte et de classe permet d’élever le niveau de conscience d’un grand nombre de prolétaires. L’initiation à l’organisation, au combat collectif pour des revendications immédiates ou de long cours, au travail militant régulier, mais aussi l’introduction aux théories de la lutte des classes sont autant d’éléments qui amènent progressivement à dépasser le cadre, parfois étroit, du syndicalisme.

Dans notre cas, la majorité de notre intervention syndicale se fait au sein des Syndicats Étudiants Lycéens et Apprentis. Non seulement nos camarades participent activement à rendre viables, combatifs et efficaces les SELA, mais nous entendons aussi défendre le modèle face aux déviations, révisions dont il pourrait souffrir.

Cet article a pour but de clarifier le parcours de RC au sein des SELA, du lancement même de ce modèle jusqu’aux menaces qui pèsent sur lui actuellement. Il s’agit aussi d’un point de repère pour l’ensemble des camarades présents ou futurs, adversaires ou curieux, qui souhaite connaître la ligne portée par RC au sein des syndicats SELA.

De la nécessité des SELA

Le développement du modèle ne peut être compris sans l’intervention initiale de RC et de ses alliés.

En effet, à l’origine du lancement du SELA 311, syndicat le plus développé du modèle, se trouve la volonté de RC et de ses sympathisants de rompre avec les déboires du syndicalisme étudiant traditionnel. De l’échec des structures existantes à réaliser un véritable syndicalisme de terrain découle une longue série de leçons. Elles ont en partie été étudiées dans le livre Des Mains qui pensent.

Se constituant pour défendre les intérêts des travailleurs en formation2 dans leur ensemble et non pas seulement ceux des étudiants, le SELA se pose déjà comme un outil de classe et non pas corporatiste. Il s’oppose aussi à celles et ceux qui voudraient faire du syndicalisme étudiant CGT en ne se restreignant qu’aux seuls étudiants salariés. Nous ne raisonnons ni uniquement en termes de lieu de formation, ni avec la définition juridique bourgeoise du salariat. D’où, aussi, la volonté forte mais non pas obligatoire de s’intégrer plus largement à une confédération syndicale nationale du prolétariat afin de lier concrètement travailleurs d’aujourd’hui et de demain.

En ce sens, pour tenter de donner un éclaircissement sur la spécificité de notre analyse, il nous faut parler de l’évolution de la formation à l’emploi ces dernières années. L’exemple de l’alignement de l’enseignement supérieur comme préparation à l’entrée dans le circuit capitaliste salarial est un élément intéressant à envisager pour comprendre les dynamiques contemporaines de la formation. Nous ne rentrerons pas ici dans une analyse complète, mais à partir de l’évolution de l’alternance en France ces dernières années, nous pouvons nous faire une bonne idée du processus en cours.

Les chiffres fournis par le Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion nous disent ceci : il y a pour l’année 2021, 892 100 contrats d’apprentissage dont 427 490 apprentis dans l’enseignement supérieur. Il s’agit là d’un chiffre historiquement haut. Rien que dans le secteur privé, le nombre de contrats signés a été multiplié par 2,5 entre 2017 et 2021, passant de 290 000 à 700 000. Ces chiffres sont le résultat de l’intervention toujours plus palpable des entreprises privées dans les politiques gouvernementales, particulièrement depuis le tournant néo-libéral sous le quinquennat Hollande ; la dernière réforme faisant passer les lycées professionnels sous la double-tutelle des ministères de l’Éducation et du Travail étant un développement de cette conception politique du devenir de la formation. Les secteurs d’emplois des apprentis se décomposent à l’image de la réalité du système de production français actuel : 71% dans les métiers des services, 15% pour les industries, 11% dans le BTP, 3% dans l’agriculture et la pêche. Les métiers de l’industrie, de la maintenance et de l’énergie représentent les secteurs les plus demandeurs avec des taux d’embauche fortement supérieurs aux autres branches. En effet, ces entreprises sont touchées par des pénuries de main-d’œuvre qualifiée et réclament des apprentis pour pallier le manque de bras et assurer un approvisionnement en force de travail dont elles assurent la formation.

Premier constat, la formation en alternance explose en France ces dernières années, on voit donc un nombre croissant de travailleurs en formation avec un pied en entreprise au cours de ce début de décennie. Ce phénomène s’explique en partie par un désinvestissement de l’État proportionnel à la reprise en main par le secteur privé de la formation des travailleurs de demain. Les raisons économiques du contrôle de la force de travail, de sa formation, sont un élément important à prendre en compte, et ce d’autant plus que dans un contexte de tensions exacerbées entre capitalistes aussi bien en France qu’à travers le monde, la fidélité à l’entreprise et à l’idéologie bourgeoise dominante est essentielle. Les réformes de ces dernières années et celles en préparation s’orientent toutes dans cette direction, les entreprises assumant de plus en plus visiblement cette prise en charge. Dans le livre Des Mains qui Pensent, nous relevions déjà :

« Cette orientation se retrouve actuellement par la construction d’une nouvelle organisation de la formation du secondaire au supérieur. À Toulouse, où l’aéronautique joue un rôle décisif dans le tissu économique, s’est développé un processus complexe mélangeant secteur privé et secteur public. À l’historique Lycée Airbus s’ajoutent des “licences professionnelles Airbus”»

Tout nous porte à croire que cette nouvelle organisation de la formation et du travail va s’étendre dans les années à venir.

La second constat à noter à la lumière de ces chiffres est le phénomène de professionnalisation ou, autrement dit, de développement de l’alternance dans l’enseignement supérieur, que nous avons décrit :

« La professionnalisation correspond selon nous à un profond phénomène historique de transformation des institutions, du contenu, de la pédagogie et des objectifs du système français d’enseignement et de formation selon les intérêts, les besoins en main-d’œuvre des principaux secteurs de l’emploi. La professionnalisation, dans un sens plus général, n’est pas une notion négative, mauvaise. Néanmoins, la professionnalisation que nous vivons n’est pas neutre, elle est dirigée en vue de l’exploitation du travail et de la constitution du profit. Sous ce terme pudique de “professionnalisation” se cache la réalité de l’ensemble des apprenants que nous nommons “travailleurs en formation”. Dans notre contexte, ce mot désigne la formation, l’acquisition de compétences, de techniques, donc l’augmentation de la valeur de la force de travail, pour son exploitation et les besoins de la production, de la recherche du profit maximal. »

Nous commentions alors les chiffres de l’année 2018 comme révélateurs de cette transformation :

« D’après les chiffres de l’INSEE, 179 800 jeunes ont suivi une formation du supérieur en apprentissage en 2018. La hausse tendancielle se poursuit (+ 8,1% par rapport à 2017). Le BTS (Brevet de technicien supérieur) est le diplôme principal, puisqu’il regroupe 40,4% des apprentis du supérieur. »

Nous laissons au lecteur le soin d’apprécier l’évolution entre les données de 2018 et 2021. Le phénomène s’amplifie, se renforce, s’affirme. Là encore, nous avions déjà fourni quelques éléments de réponse :

« D’ailleurs cela signifie aussi que l’université basée sur la formation scientifique est considérée comme archaïque, elle doit tendre vers la professionnalisation et incorporer de plus en plus l’alternance. Cette dernière est vue par le patronat comme un moyen de s’assurer des qualifications des futurs travailleurs et de choisir sa main-d’œuvre avant même l’obtention du diplôme. L’alternance, les stages et les missions en entreprises sont encouragés par la bourgeoisie qui souhaite les intégrer de plus en plus dans le monde universitaire. »

Ainsi, sous nos yeux se déroule la mutation du monde des travailleurs en formation de par la réorganisation de l’appareil productif français et la restructuration de l’organisation du travail. Reconstruction Communiste considère qu’il est absolument nécessaire pour tout révolutionnaire conséquent d’analyser en temps réel les variations, les évolutions et les transformations du capitalisme afin d’en saisir la musique si nous voulons un jour pouvoir jouer notre partition.

Tous ces éléments ne sortent pas du néant, c’est bien au départ une vision marxiste, combative, qui dirige toute la réflexion sur le contexte que nous traversons et sur l’organisation qui doit y répondre. RC sort alors d’une longue période de tâtonnements et d’échecs dans le milieu syndical étudiant. Nous constatons que les organisations syndicales étudiantes sont en repli, le nombre de militants et la qualité du travail réalisé est en chute libre depuis 20 ans. Les principes de base du travail de terrain sont oubliés. En face de ce rétrécissement des bases, on retrouve une bureaucratie en décomposition idéologique, ne sachant comment maintenir son influence électorale. Les alliances d’infortune se multiplient pour tenter de sauver les meubles. Ainsi, en février 2023, lors des élections étudiantes de l’UT2J3, l’ensemble des réformistes doivent se liguer pour endiguer le retour des organisations de lutte. L’alliance réformiste de l’UEC, l’UNEF et l’UET rassemble péniblement 20% des voix là où ils pouvaient additionner 60% des voix deux ans plus tôt. Du côté des organisations de lutte, Le Poing Levé l’emporte avec 38,6% et la CGT-SELA 31 recueille 18% pour sa première élection. Si les SELA ne courent pas après les élections, cela permet cependant de prendre la température auprès des travailleurs en formation sur la pertinence de leurs interventions. Refermons là cette parenthèse. L’important était ici de souligner le besoin existant pour les travailleurs en formation d’avoir des outils à leur disposition pour permettre leur défense et leur émancipation.

Les SELA se proposent de répondre à ces besoins face aux compromissions des organisations traditionnelles.

Sous quelle forme cette réponse se présente-t-elle ? Si le SELA a été bâti comme un outil de lutte et d’émancipation, il reste sujet aux déviations et à la révision de ses principes directeurs, mais nous y reviendrons. Les exemples historiques et une lecture attentive des événements en cours en France nous permettent de voir que des organisations initialement prévues pour l’émancipation peuvent se retourner contre ces mêmes intentions. C’est pour cette raison que RC défend une vision particulière de l’emploi des SELA, une vision en phase avec ce que nous avons toujours défendu pour le modèle.

Une ligne théorique et pratique

Nous avons précédemment commencé à évoquer la base de notre ligne, établie sur les leçons de ce qu’il a pu exister dans le milieu, mais aussi sur une analyse marxiste du contexte.

Face aux mutations du monde des travailleurs en formation, il fallait un outil regroupant l’ensemble de cette couche sociale. Le modèle étudiant, lycéen, apprenti devenait donc une nécessité permettant d’embrasser une réalité complexe.

Ainsi, le lien au réel, aux problématiques concrètes, fait partie de l’ADN de cette ligne. Il est le point de départ de toute lutte, de tout travail de terrain. Dans le quotidien des SELA, il se traduit par un travail d’enquête auprès des travailleurs en formation pour traquer les problèmes et les solutionner. Recentrer le travail syndical vers le terrain a été et reste le chantier principal des cadres RC dans les SELA. Négligé pendant des décennies, tout est à reconstruire. Les militants doivent partout faire corps avec leur milieu pour en percevoir les problématiques. Que ce soit sur leurs lieux d’études, d’alternance ou sur les lieux de vie, les militantes et militants SELA doivent se faire connaître comme des personnes de confiance pour épauler leurs collègues en cas de soucis. J’insiste d’ailleurs sur le fait d’épauler, car les syndicalistes ne sont ni des fonctionnaires d’État, ni des chevaliers servants. Le syndicaliste, comme le cadre révolutionnaire, s’il n’est pas directement concerné par le conflit, doit se positionner en soutien et non en meneur de la lutte. Notre devoir est de fournir l’ensemble des outils, connaissances et savoir-faire nécessaires à notre camp pour triompher. Pour le syndicaliste comme pour le cadre révolutionnaire, le quotidien n’est ni glorieux, ni prestigieux ; mais il permet à d’autres de se défendre face au capitalisme, de prendre progressivement conscience de la nécessité de se ranger du côté de ces premiers. Le syndicaliste organise, conseille et participe à la lutte pour la mener à la victoire et au progrès de la conscience collective. Pour cela, il doit connaître le terrain, ses collègues et leurs préoccupations. Il peut être l’un d’eux mais il est aussi capable de remplir ces tâches auprès de publics divers. Certes, nous revendiquons l’existence d’une couche appelée « travailleurs en formation », mais elle n’en est encore qu’à une existence objective et non subjective. Ainsi, un apprenti électricien doit pouvoir aider des lycéens, un étudiant en psychologie doit savoir épauler un alternant en informatique aux prises avec son patron. Nous devons travailler quotidiennement à créer ces solidarités.

C’est d’ailleurs face à la déliquescence des solidarités, des sociabilités, à l’atomisation due au capitalisme libéral que nous mettons les syndicats SELA en première ligne. Il est pour nous évident qu’à l’heure actuelle, le syndicalisme des travailleurs en formation revêt un rôle dépassant la simple défense des intérêts immédiats. S’ajoute aux tâches quotidiennes le fardeau nécessaire d’instruction à la vie collective, à la coopération avec ses semblables en dehors des rapports régis par le capitalisme. Le syndicat n’est certes pas toujours une base avancée du socialisme mais c’est un terrain d’apprentissage idéal pour expérimenter le travail sous les auspices de valeurs progressistes et collectivistes. L’histoire nous l’a trop souvent montré, là où les organisations ouvrières disparaissent, le repli identitaire refait surface avec son lot de nihilisme, de fatalisme, d’individualisme et peut-être pire encore, d’idées réactionnaires. Il est donc d’autant plus important d’endiguer ces fléaux dans les organisations de base du prolétariat et des travailleurs en formation.

L’esprit de solidarité et d’engagement permettent ainsi une approche plus combative des tâches que le terrain nous offre. Nous défendons la régularité, l’investissement dans le travail, et si bien entendu nous ne pouvons pas exiger des primo-militants une dévotion égale à celles de camarades communistes, nous encourageons les camarades à l’assiduité. Former les militantes et militants syndicaux au sérieux dans le travail est un moyen de garantir une continuité dans la vie du SELA. Cela permet de fournir de futurs cadres au syndicat, d’éveiller le sens des responsabilités de chacun et donc son envie de prendre part à la vie démocratique de l’organisation. Nous mettons en effet un point d’honneur, et ce malgré les critiques que nous pouvons recevoir, à encourager au maximum les camarades syndiqués à prendre part à la vie interne des syndicats. Nous ne pouvons pas, comme certaines autres organisations le font, simplement vouloir conquérir pour les seuls membres RC des postes de direction et les laisser monopoliser l’espace dans l’élaboration du travail du syndicat. Responsabiliser, former et encourager sont parmi les tâches premières des membres RC dans les SELA. Cette ligne permet aux jeunes militantes et militants de rapidement gagner en compétences et en conscience politique.

Dans ce même esprit de formation des camarades et de confrontation entre lignes, des membres de Reconstruction Communiste et de la CGT-SELA 31 ont produit le livre Des Mains qui Pensent et l’ont offert aux SELA pour servir de socle théorique. Si cet ouvrage est aujourd’hui une référence dans beaucoup de SELA en France, il n’est ni parfait ni indépassable. Certains de ses auteurs critiquent d’ailleurs les approximations qui peuvent exister concernant l’analyse de classe des travailleurs en formation. Qu’à cela ne tienne, la ligne énoncée reste pertinente et porte ses fruits. C’est la tâche des camarades d’améliorer l’ouvrage, ou celle d’autres vaillantes et vaillants de relever le défi de l’actualisation, voire de la réfutation. La promotion et la diffusion de ce livre permet cependant de poser des fondations solides pour le développement du modèle.

Certains diront que RC promeut un moule préfabriqué réutilisable à volonté pour exporter le modèle, et nous répondons : oui, mille fois oui. Nous avons forgé un outil puissant, qui fait chaque jour ses preuves, nous comptons donc maintenant le diffuser pour armer toutes celles et ceux qui veulent en comprendre le maniement. La création d’un moyen d’exportation et de suivi national comme la Coordination Nationale des SELA est un pas en avant qui va dans le sens des ambitions du modèle.

Il faut ajouter à cela que Reconstruction Communiste soutient ardemment la possibilité d’une unification des syndicats de lutte. Les travailleurs en formation méritent une centrale syndicale unique basée sur des principes du travail de terrain, de lutte des classes et en lien avec les organisations syndicales du prolétariat. Les rapprochements récents entre la Fédération Syndicale Étudiante, l’UNSELA et la CN-SELA montrent qu’il est possible qu’une voix commune se fasse entendre chez les travailleurs en formation.

Je terminerai mon exposé sur la ligne RC dans les SELA en parlant de nos membres. Nous considérons notre organisation comme un embryon, encore modeste, d’un futur parti communiste. Nous formons des cadres révolutionnaires et nous exigeons d’eux qu’ils se comportent comme tels. Au sein des syndicats SELA, ils montrent l’exemple, ils incarnent chaque jour la ligne que nous portons. Les militantes et militants de Reconstruction Communiste ne rechignent pas au travail de terrain parce qu’ils en connaissent la valeur. Nous refusons de prendre simplement part aux réunions décisionnaires pour y défendre une ligne. Nous faisons corps avec les organisations dans lesquelles nous militons. Nous y effectuons un travail acharné, quotidien et patient pour remplir les tâches qui nous sont données. Reconstruction Communiste fait d’ailleurs reposer son recrutement sur la confiance. Il s’agit ici d’une histoire de confiance mutuelle, d’abord entre celles et ceux qui reconnaissent dans RC et ses membres de véritables cadres capables de transformer un jour la société, mais aussi de la part de RC et de ses cadres qui voient dans les militants les plus éveillés et actifs de futurs révolutionnaires.

Reconstruction Communiste croit dans le modèle SELA et dans la nécessité d’organiser les travailleurs en formation. Nous ferons tout pour assurer la réussite de ce combat et nous nous dresserons toujours devant ses adversaires pour les pousser au caveau.

Des combats à venir

Le plus grand danger qui plane à l’heure actuelle au-dessus des SELA est l’apathie. Le fléau généralisé que nous constatons progresser depuis maintenant 30 ans est celui de la résignation et de l’abandon de la lutte. Il touche la couche sociale des travailleurs en formation et la classe des prolétaires dans son ensemble, il s’insinue dans les organisations de gauche et dans les cœurs. Si le modèle SELA a été aussi forgé pour lutter contre ce phénomène en redonnant espoir par l’efficacité et les victoires, nous ne pouvons sous-estimer la force de la passivité. Dans une époque où l’on exhorte les masses à prendre part à la politique uniquement par les réseaux ou par l’argent, il faut arriver à remettre le travail militant au centre de l’équation et plus largement l’action dans le champ des possibles.

Aux abords du lisier de l’apathie se développent d’autres dangers. La droite effectue une percée sensible dans le monde de la représentation étudiante. L’UNI et la Cocarde sont des avatars caricaturaux, relais des réactionnaires dans le monde étudiant, et même s’ils doivent être fermement combattus, ils ne pèsent rien face à des structures comme la FAGE. La Fédération des Associations Générales Étudiantes progresse partout, c’est le refrain silencieux mais répété de chaque élection. Cette organisation, si elle peut paraître inoffensive en apparence, voire en lien direct avec les préoccupations étudiantes, est bel et bien une courroie de transmission directe des gouvernements libéraux. Elle passe en effet de 3 élus au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) en 2000 à 6 en 2023, là où l’UNEF passe de 5 à 1. Certains pourront objecter qu’il ne s’agit que de représentants factices du monde des travailleurs en formation. Pour autant, dans une époque où les bases militantes n’ont que peu d’emprises sur le réel, ce sont dans ces instances que les compromissions avec nos gouvernants sont organisées. Ne ne pouvons pas laisser prospérer ces organisations qui sont les relais du patronat.

Nous l’avons déjà esquissé mais le salut ne viendra pas des organisations de gauche existantes. La déconfiture perpétuelle de l’UNEF est devenue un phénomène tragi-comique. La social-démocratie a donc dû trouver une nouvelle incarnation syndicale pour poursuivre son projet de pouponnière à parlementaires pour le PS et LFI. L’Union Étudiante est le nouveau fruit de ces ambitions. Il s’agit de la coagulation finale d’organisations syndicales étudiantes locales, de fédérations étudiantes gauchisantes, de dissidents de l’UNEF et même de membres de l’Union des Étudiants Communistes (UEC). Reboot de la NUPES et des futures alliances électorales, l’avenir de l’UE semble déjà mis sur les mêmes rails que leurs ancêtres de l’UNEF : division idéologique de fond, programme attrape-tout et négation du travail de terrain. La réduction de l’espace politique nécessaire à la reproduction de la caste des bureaucrates étudiants les amènent à se grouper pour survivre. Cette addition à somme nulle devra pourtant être surveillée de près, car depuis toujours la social-démocratie sait détourner l’attention des masses et tromper les éléments les plus conscients. Les SELA devront donc ferrailler pour ramener vers leurs rangs les travailleurs en formation luttant pour l’émancipation et le progrès.

Vous l’aurez sans doute remarqué, la représentation des apprentis est absente de notre développement. La raison en est simple : les organisations étudiantes ont toujours, au mieux rejeté les apprentis vers les syndicats professionnels, au pire ignoré leurs revendications et les liens de classe qu’ils peuvent entretenir. Les SELA remettent les alternants et les apprentis au centre de la lutte générale des travailleurs en formation. Nous entendons bien faire rentrer cette force sociale dans l’arène syndicale et politique. Reconstruction Communiste défend le fait que les apprentis doivent recevoir une attention particulière dans les syndicats de travailleurs en formation, puisqu’ils sont parmi les catégories les plus exploitées par le patronat français. Ils sont une main-d’œuvre quasi gratuite offerte par l’État aux entreprises, qui se chargent en plus de sa formation. La question de l’apprentissage en France est stratégique, nous avons essayé de le démontrer dans Des Mains qui Pensent et j’ai repris à dessein ce sujet en début d’article. Nous parlons de centaines de milliers de jeunes qui entrent dans les rouages de la sphère de production et d’échange, qui en découvrent le véritable visage et qui possèdent encore souvent des liens avec le monde étudiant capable de lui tendre la main. Nous devons œuvrer à cette coopération ; les travailleurs en formation, qu’ils aient déjà un pied ou non dans le salariat, ont des intérêts communs et doivent lutter ensemble. Il existe un champ d’action immense en direction des apprentis concernant leurs droits, leurs attentes et leur potentiel à repenser le monde de demain. Ne laissons plus la direction de la jeunesse militante aux seuls étudiants, ces camarades sont combatifs mais ne peuvent prétendre à un regard embrassant l’intégralité des attentes des travailleurs en formation. Ce combat difficile, RC le mène sans relâche dans les SELA.

Alors que la fin de mon exposé s’annonce, il me reste néanmoins un sujet de taille à traiter. Si le modèle SELA et ses militants ont souvent été moqués, méprisés, le vent commence progressivement à tourner. Forts de leurs succès locaux, les SELA attirent. Nous avons pu croiser en leurs seins un nombre croissant d’organisations qui au départ regardaient d’un mauvais œil ces syndicats. Nous ne citerons pour des raisons éthiques pas la JC ou d’autres organisations. Si ces organisations n’ont pas su comprendre une fois de plus le contexte et le milieu dans lesquels ils évoluent, certaines militantes et militants ont su voir dans les SELA des initiatives pertinentes. Nous les saluons au passage, car certains ont dû rompre dans des conditions difficiles avec leurs organisations pour pouvoir enfin militer sur le terrain et participer activement à la vie syndicale.

Pour d’autres, le calcul était bien plus sombre. Pour des organisations aux abois, des syndicats de travailleurs en formation tout prêts à être cueillis pouvaient représenter une aubaine. De même, certains bureaucrates de la CGT y voient leur planche de salut là où d’autres perçoivent un danger à leur vie trop tranquille.

C’est ainsi que nous avons vu et que nous voyons défiler toutes les tares historiques frappant le mouvement ouvrier s’abattre sur les SELA. Cela semblait inévitable au vu du contexte d’affaiblissement de notre camp en France. Certains tentent de bureaucratiser les SELA en perpétuant les pratiques périmées du syndicalisme de carte, de l’esbroufe par les réseaux sociaux et des incantations à tel ou tel ponte de la CGT. Ce sont des pratiques révisionnistes du modèle SELA, de médiocres tentatives de contrer la ligne de lutte et de travail de terrain portée par RC mais aussi par tous les syndiqués se retrouvant dans ce combat.

La lutte contre l’opportunisme, la bureaucratisation et le révisionnisme est un fardeau que les militants des SELA doivent porter. Pour cela, ils ont besoin de s’imprégner pleinement de la ligne de lutte, de terrain et de régularité qui est l’ADN des SELA. Reconstruction Communiste veille à pousser cette ligne en avant, mais cette bataille est au-dessus de ses modestes prérogatives. Cette ligne doit pouvoir exister en dehors des lieux où les camarades sont présents.

Nous donnons beaucoup de notre énergie à faire vivre ces syndicats. Reconstruction Communiste peut exister sans les SELA, notre choix de lancer et soutenir ce projet ne peut être compris uniquement sous le prisme de l’intérêt partisan, d’un combat pour faire émerger des communistes. Il s’agit d’un projet plus large de soutien à notre classe, au monde des travailleurs en formation. Nous voulons participer à la forge d’outils plus larges que le parti communiste, nous voulons aider à la renaissance des armes du prolétariat organisé en France.

VIATOR

  1. RC est en effet à l’initiative de ce premier syndicat, le développement des suivants ne se fera pas obligatoirement à l’initiative des réseaux RC, le modèle réussissant à susciter l’intérêt des éléments les plus conscients des travailleurs en formation.
  2. Le concept de « travailleur en formation » précède bien entendu le modèle SELA, mais nous avons néanmoins tâché de le préciser d’un point de vue marxiste. Il s’agit d’une couche inter-classe, majoritairement prolétarisée, en cours de formation aux métiers spécifiques de la nouvelle sphère de production capitaliste.
  3. Université Toulouse Jean Jaurès