Deux pas en arrière

À l’occasion d’une manifestation pour le climat, je discute avec un militant du milieu associatif qui me dit avoir abandonné tout engagement politique au début des années 2000. Il m’explique son choix par un dépit face à la chute des grands idéaux et la bureaucratisation de la politique, extrême-gauche incluse. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas baisser les bras mais que je comprenais que pour des militants de sa génération, les dernières décennies ont été dures à avaler. Avant de partir il soupire « aujourd’hui on est réduit à la défensive ». Et il est vrai qu’à regarder autour de nous, dans le monde entier, c’est une offensive majeure de la bourgeoisie que nous vivons.

En effet, maintenant depuis plus d’une décennie, les travailleuses et travailleurs des pays impérialistes voient leurs conquêtes sociales fondre comme neige au soleil.

Issues des luttes du XXe siècle, ces victoires sur les capitalistes paraissaient éternelles. Mais avec le choc du néolibéralisme dans les années 1980 – 1990, les certitudes volent en éclat. La bourgeoisie, devant le ralentissement de la croissance, doit serrer la vis. Le camp socialiste ne pesant plus rien, couplé à la division des travailleurs entre eux, la conscience de classe recule, et c’est l’occasion rêvée par la bourgeoisie pour contre-attaquer. Dans la lutte des classes, il n’y a aucun répit.

Si la bourgeoisie avait pu concéder ces droits, c’était dans le cadre d’un rapport de force extrêmement défavorable pour elle. Le recours aux forces fascistes l’avait conduite à une défaite économique, sociale et politique à la suite du dernier conflit mondial. Elle a dû attendre, encaisser les coups.

Mais la voici de nouveau puissante, et si elle a pu utiliser les méthodes les plus extrêmes pour attaquer le prolétariat qu’elle a abandonnée en grande partie aujourd’hui, elle ne change pourtant pas en profondeur. Son mode de production et son idéologie ont triomphé mais elle ne peut pour autant pas les remettre en cause pour vaincre les inévitables et incessantes crises que traversent notre société. Nous sommes dans une période de cogestion entre les différents courants de la classe dirigeante qui s’affrontent pour savoir quel type de capitalisme sera à même de sauver la face.

Si nous avions jusqu’à présent l’habitude d’une alternance entre une bourgeoisie tantôt libérale-conservatrice tantôt une sociale-libérale, nous connaissons aujourd’hui une recomposition politique qui amène des partis réactionnaires et fascisants au pouvoir.

En 2016, les États-Unis placent Donald Trump à la Maison Blanche, suivant de quelques mois l’élection de Rodrigo Duterte à la présidence des Philippines. En 2018, c’est l’adorateur de la dictature militaire Jair Bolsonaro qui prend la tête du Brésil. En Europe, l’extrême droite avance et s’intègre entièrement au jeu politique. Dans son sillage les travailleuses et travailleurs perdent tout.

En Autriche, le gouvernement conservateur-réactionnaire remet en place la journée de 12h, la semaine pouvant désormais atteindre 60h. À quelques kilomètres de là, le gouvernement hongrois lève de nouvelles clôtures anti-migrants grâce aux fonds du l’Union Européenne. Aux USA, de plus en plus d’états fédéraux reviennent sur le droit à l’avortement alors qu’il est un droit constitutionnellement établi depuis 1973. Certains sénateurs envisagent même d’établir la peine de mort pour les femmes ayant recours à l’avortement. Du côté brésilien, Bolsonaro a expulsé les médecins cubains de son pays, qui exerçaient majoritairement dans des déserts médicaux en zone rurale, fournissant l’accès au soin à population d’environ 40 millions de personnes. De plus il attaque le secteur universitaire en coupant les budgets des matières dites « inutiles », qui sont, pour le président brésilien, les sciences sociales et les arts à hauteur de 30 %.

L’extrême droite ne défend ni les services publics, ni la santé, ni l’éducation, ni les droits des travailleurs et encore moins ceux des travailleuses.

De l’autre côté, les tenants de la libre-concurrence et d’une forme de progressisme social à deux vitesses se maintiennent à la tête de nombreux pays impérialistes par un savant mélange d’autoritarisme et d’un pseudo-renouvellement du paysage politique. Leur politique de casse sociale est tout aussi importante, toujours plus intransigeante. Les libéraux n’hésitent plus à recourir aux pires méthodes de maintien de l’ordre. S’il semble redevenu normal depuis quelques années de risquer de se se faire casser la gueule par la police à toute manifestation, les menaces envers les médias et la justice montrent que même les éléments progressistes de la bourgeoisie sont sommés de rentrer dans le rang.

L’injustice, l’arbitraire et le repli identitaire ne semblent aujourd’hui plus être le seul apanage des gouvernements réactionnaires. Nous assistons à une « droitisation » de la société. L’idéologie bourgeoise dans son mode le plus réactionnaire ne cesse de s’étendre. Elle s’étend d’autant plus que le camp adverse n’a que peu de répondant. Le socialisme est à terre et la sortie des enfers est encore lointaine malgré un regain d’intérêt par la jeunesse. Rien ne semble indiquer une trêve dans les attaques que nous connaissons actuellement. Et pourtant il nous faut livrer cette bataille, lever le bouclier pour un jour rendre un coup d’épée.