Des principes du léninisme

Nous, militantes et militants de Reconstruction Communiste, nous revendiquons de la pensée du révolutionnaire russe Vladimir Illitch Lénine. Forts de ce riche lègue théorique et pratique, nous nous sentons prêts à affronter les défis qui se dessinent comme autant d’orages à l’horizon. La catastrophe climatique, la dégradation des conditions sociales d’existence des peuples du monde entier et le blocage institutionnel de la res politica, nous poussent à puiser dans la seule théorie révolutionnaire qui fit ses preuves, et réussit à mener les prolétaires à des résultats concrets tout au long du XXe siècle.

S’il est aisé de clamer haut et fort que nous avons « raison de nous révolter », sans théorie révolutionnaire, ce slogan est condamné à rebondir éternellement dans le vide. « Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. »1 Sans pratique révolutionnaire, pas d’insurrection révolutionnaire. Sans bouleversement politique et économique, pas de pouvoir populaire.

Qu’est-ce donc que le léninisme ?

Le léninisme est un prolongement du marxisme, qui lui agrège son lot de nouveautés conceptuelles, politiques et stratégiques. Le léninisme revêt de multiples facettes. Il ne peut pas seulement être considéré comme étant l’application du marxisme à la réalité russe du début du XXe siècle. Renouveau du marxisme à l’époque du capitalisme impérialiste, il régénère le contenu révolutionnaire du corps doctrinaire de Marx et Engels et se veut être un véritable outil dans la mise en place de la « dictature du prolétariat », de la dictature de la majorité sur la minorité, et non plus, comme c’est le cas actuellement dans tous les États sur Terre, de la dictature de la minorité sur la majorité.

Le marxisme de l’ère impérialiste

Les racines historiques du léninisme sont le fruit d’une époque durant laquelle l’essor de l’impérialisme amplifiait les contradictions fondamentales du capitalisme. Face à la toute puissance des trusts, des consortiums monopolistes et des banques multinationales, les méthodes habituelles de lutte sociale –syndicats, coopératives, parlementarisme – sont vaines. Dès lors, la nécessité de la révolution prolétarienne éclate au grand jour. C’est encore plus vrai aujourd’hui, alors que les multinationales dominent l’économie mondialisée.

L’impérialisme se caractérise sommairement par l’exportation des capitaux vers les sources de matières premières et le partage du monde2 entre les puissances financières. Ce qui conduit inévitablement à une lutte mondiale entre les grands groupes capitalistes, s’affaiblissant de facto mutuellement. L’impérialisme est l’exploitation de la majorité des populations des pays « sous-développés » pour leur extorquer du surprofit et les faire travailler contre des salaires de misère.3

La société de consommation, dans laquelle les États les plus développés se sont engouffrés à la suite du dernier conflit mondial, n’est factuellement possible que grâce à la domination des pays impérialistes sur des pays tiers. Par exemple, la fast-fashion n’existe que parce que les multinationales du textile exploitent une main-d’œuvre bon marché à l’autre bout du monde. Ces vêtements, salis par la sueur et le sang du prolétariat le plus paupérisé, viennent ensuite garnir les rayons des chaînes de magasins dans les pays impérialistes.

Une théorie révolutionnaire pour une pratique révolutionnaire

Le léninisme naquit lors d’une période où dominait l’opportunisme au sein de la IIe Internationale.4 La conséquence de la prédominance de l’opportunisme au sein des partis ouvriers fut la chute du niveau éducatif des masses dans leurs tâches révolutionnaires, l’effacement de l’objectif central de toute organisation marxiste révolutionnaire : la « dictature du prolétariat ». La théorie marxiste se retrouvait vidée de son âme. Il incombait alors au léninisme de nettoyer les écuries d’Augias du mouvement communiste international.

Pour cela, la méthode se veut exigeante. Le léniniste se doit de vérifier les dogmes théoriques dans la lutte, afin de réunir la théorie à la pratique. Le travail du Parti doit être réorganisé vers l’éducation des masses. L’autocritique des partis prolétariens est nécessaire. Prendre conscience de ses fautes permet de mûrir. Le léninisme se doit d’éclater les dogmes théoriques des partis opportunistes. Contrairement à ce qu’avancent dogmatiquement les opportunistes, socio-démocrates et socio-libéraux en tête de gondole, rien ne sert que le prolétariat conscient soit majoritaire au sein d’un pays pour entreprendre la prise du pouvoir. Si les conditions sont favorables, une avant-garde prolétarienne peut mener à bout une révolution, et bâtir sur les ruines de l’État bourgeois un État populaire. La lutte parlementaire, alors centrale dans la majorité des partie progressistes actuels n’est qu’un moyen auxiliaire pour la prise du pouvoir. L’Histoire nous prouve que les questions sociales ne furent résolues que par la force. Il convient de comprendre que « la théorie révolutionnaire n’est pas un dogme »5 et quelle « doit répondre aux questions mises en avant par la pratique »6.

La théorie n’en est pas moins essentielle. Elle s’adapte et se nourrit de l’expérience passée. « Seul le parti guidé par une théorie d’avant-garde peut remplir le rôle de combattant d’avant-garde. »7 Il en revient à critiquer la théorie de la spontanéité des masses car elle ne s’attaque pas directement aux fondements même du capitalisme. Elle s’arrête aux revendications réalisables au sein de ce mode de production et réduit le rôle des « éléments conscients » dans les luttes révolutionnaires.

La révolution prolétarienne sera le fruit de la combinaison de trois fronts : l’affrontement entre les pays impérialistes qui exige un front mondial contre l’impérialisme, un front dans les pays impérialistes et un front dans les pays sous le joug de l’impérialisme. C’est alors que le Capital sera percé là où il sera le plus faible, comme cela s’est produit en Russie en 1917. La révolution sera longue de plusieurs années, du renversement complet du pouvoir dans un seul pays jusqu’au renversement total du capitalisme à l’échelle mondiale.

La révolution a lieu « lorsque « ceux dans bas » ne veulent plus et que « ceux dans haut » ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière. »8 C’est-à-dire quand la masse des prolétaires sera prêtes à mener la révolution à son but et qu’une crise interne à la classe dirigeante entraînera les fragments les plus dépolitisés et retardataires des classes laborieuses vers la vie politique. La crise actuelle des « Gilets Jaunes » en France nous prouve encore une fois que la force de contestation existe. Il ne reste plus qu’à former une avant-garde prolétarienne prête pour éduquer et guider les masses vers le socialisme.

Vers la dictature de la majorité sur la minorité, ou le triomphe de la démocratie

L’instrument de la révolution prolétarienne est la « dictature du prolétariat ». La bourgeoisie, une fois renversée, reste toujours plus forte que le prolétariat. Même après la révolution, elle maintient sa puissance économique, foncière, administrative, éducative, culturelle. Il convient alors de briser la résistance des grands propriétaires fonciers et des capitalistes et de réprimer leurs tentatives contre-révolutionnaires. En même temps, il est nécessaire de réorienter le travail dans le sens d’une société sans classes et d’armer la révolution face aux ennemis extérieurs qui voudraient réduire à néant le bond qualitatif effectué.

Après la socialisation des principaux moyens de production, il faudra supprimer la masse des petites productions. Il est évident qu’elles ne doivent pas être écrasées. Il s’agira d’avancer avec prudence et lenteur afin de les transformer. En somme, la dictature du prolétariat est une période de lutte militaire, économique, pédagogique et administrative contre les forces et les traditions de la société renversée.

Ainsi, la dictature du prolétariat naît des cendres de l’État bourgeois. Alors que l’État ancien – même dans une démocratie libérale – est une dictature de la minorité sur la majorité, l’État nouveau est la dictature de la majorité sur la minorité. La forme de ce nouvel État se réalise dans les Conseils. Les Conseils sont des organisations qui unissent et organisent directement les masses. Ils sont donc les organisations les plus démocratiques possibles et permettent de relier les masses à l’appareil administratif d’État. Cela permettra aux masses anciennement opprimées d’apprendre l’exercice de la démocratie par leur participation permanente au gouvernement d’État. Se prépare alors le dépérissement de l’État. Une fois inutile dans son rôle pédagogique, l’État devrait s’éteindre de lui-même.

Travailleuses et travailleurs de tous les pays, unissez-vous !

Les léninistes ne se contentent pas de regarder droit vers le prolétariat et de voir en lui une masse messianique prête à détruire le vieux monde. Si le prolétariat est la classe révolutionnaire par excellence, il est nécessaire pour le parti d’avant-garde de soutenir les masses travailleuses issues de la paysannerie dans leur combat contre l’exploitation. Cela ne signifie pas les soutenir coûte que coûte car elles se retrouvent souvent alliés à la bourgeoisie. La classe dominante assure sa domination, à la fois par le pouvoir étatique, mais aussi par son « hégémonie culturelle ». Ainsi, comme le théorisa le marxiste italien Antonio Gramsci, les pratiques quotidiennes et les croyances collectives héritées de la culture dominante, sont fondamentales dans le renforcement et la perpétuation de la domination bourgeoise sur les campagnes et sur les villes. En temps que force productive indispensable à la dictature du prolétariat et à l’économie socialiste, le prolétariat révolutionnaire se doit d’être à l’avant-garde de la paysannerie révolutionnaire.9

La question nationale est, pour le léninisme, la question de la libération des peuples colonisés et opprimés par l’impérialisme. Le léninisme clame le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et affirme le droit des Nations à exister comme États indépendants libérés du joug des puissances impérialistes. Tout mouvement d’indépendance constitue une véritable lutte révolutionnaire, quel qu’il soit. La question de la lutte contre l’impérialisme, politique et économique, prend le pas sur la question de la lutte pour le socialisme. La seconde ne pouvant être menée à bien sans avoir résolue la première. Afin de résoudre la question nationale, le léninisme part du postulat que le monde est binairement divisible. Le camp des États-nations impérialistes qui détiennent le capital financier et exploitent la majorité des populations du globe s’oppose au camp des peuples opprimés.

Comme les pays dépendants constituent une immense réserve de forces pour l’impérialisme, la lutte des peuples opprimés pour leur émancipation conduira à la crise du capitalisme mondial. Éclatera alors la nécessité d’un front révolutionnaire commun entre le prolétariat des pays impérialistes et des mouvements de libération des pays dépendants. Comme « un peuple qui en opprime d’autres ne saurait être libre »,10 l’objectif du camp socialiste est donc de réaliser la collaboration des nations dans une économie mondialisée unique, fondée sur la confiance mutuelle et les rapports fraternels entre les peuples.

Stratégie et tactique pour la prise du pouvoir

Dans la mise en œuvre de stratégies et de tactiques en vue de prendre le pouvoir, le léninisme s’écarte des erreurs commises par le réformisme et par le révisionnisme. La tactique légale et parlementariste de la lutte n’est plus la seule voie possible. Le léninisme réaffirme l’importance des tactiques extra-parlementaires. Sa stratégie se fonde sur l’élaboration d’un plan approprié de la disposition des forces révolutionnaires. Si la stratégie évolue, la tactique s’adapte. Les alliés du prolétariat révolutionnaire changent selon les contextes – paysannerie, couches intermédiaires, prolétariat international, mouvements de libération coloniale, etc. –. Les alliés constituent des « réserves », qui appuierons l’avant-garde prolétarienne lors de la lutte décisive.

Celle-ci doit être concentrée sur le point le plus vulnérable de l’adversaire, lorsque les forces de la classe supérieure sont en difficulté. L’insurrection doit être menée jusqu’au bout, l’attaque est primordiale. La défensive est « la mort de l’insurrection armée ».11 L’ennemi doit être pris par surprise et la supériorité morale du prolétariat constamment irriguée. Cette art de l’offensive doit être complété par une science du repli. Le léninisme prône l’adaptation. Ainsi la paix de Brest-Litovsk (1918), eut été un repli nécessaire pour consolider les acquis révolutionnaire. Il est aussi nécessaire de savoir dégager la tâche centrale du moment donné, ce qui explique, par exemple, la NEP (1921), relative libéralisation de l’économie soviétique.

Le léninisme n’est pas hostile au réformisme. Mais s’y limiter ne permet que le renforcement du pouvoir bourgeois en éloignant le prolétariat de l’idée révolutionnaire. Les frasques du jeu politique nous prouvent tout les jours que les partis électoralistes sont incapables de mener les prolétaires à la victoire. Naît ainsi la nécessité d’un parti proprement révolutionnaire. Le Parti est le détachement d’avant-garde du prolétariat. Il se doit d’élever les masses afin qu’elles puissent saisir leurs intérêts de classe. Le Parti se doit d’être organisé, discipliné. Il n’est pas l’organisation unique de la classe laborieuse. À ses côtés, luttent les syndicats, les coopératives, les groupes parlementaires, la presse, les organisations culturelles et éducatives. Le Parti est l’outil de la conquête et du renforcement de l’État devant menée à la suppression des classes. Cette instrument de la dictature du prolétariat dépérira avec elle. Le Parti, comme l’État, doit, à terme, s’éteindre.

Le parti léniniste repose sur l’échange d’opinions avant la prise de décision mais sur l’unité d’action après la prise de décision. L’existence de fractions est incompatible avec la mise en œuvre de la dictature du prolétariat. C’est le principe du centralisme démocratique. Celui-ci peut être résumé par la maxime de Lénine : « liberté totale dans la discussion, unité totale dans l’action. »

Un héritage lourd de sens

Un siècle après sa mort, l’apport théorique de Lénine est toujours essentiel pour le mouvement communiste révolutionnaire. L’impérialisme n’a fait que gagner en puissance et régit désormais la planète entière. La situation décrite par Lénine dans L’Impérialiste, stade suprême du capitalisme en 1917, plus qu’actuelle, s’est imposée à l’heure de la domination planétaire du capitalisme financier et monopoliste. Il est toujours nécessaire de faire front commun avec le prolétariat mondialisé et avec les mouvements de résistance des pays sous le joug des puissances impérialistes.

Le léninisme est caractérisé par une grande rigueur théorique et une grande plasticité pratique. Le marxisme-léninisme du XXe siècle n’est plus celui du XXIe siècle. La question d’une alliance avec la paysannerie ne se pose plus dans les pays impérialistes avec la tertiarisation massive du prolétariat. Il est néanmoins nécessaire de repenser le rapport à la ruralité. L’alliance des ouvriers et des paysans d’hier doit devenir l’alliance des prolétaires des villes et des campagnes d’aujourd’hui. À la lumière des enseignements de l’Histoire, le rapport au Parti doit être, si ce n’est repensé, épuré. Si la stratégie reposant sur l’exercice du pouvoir d’un Parti centralisée d’avant-garde demeure, à preuve du contraire, la seule valable pour instaurer le socialisme, il faudra, par l’étude historique approfondie, comprendre ses failles, ses dérives, ses dangers. Comme toute idéologie politique le léninisme a ses faiblesses. Elle doit cependant être répandue au sein du prolétariat, et nous permettre de penser, de comprendre et de combattre les catastrophes à venir.

Les conditions matérielles objectives font que le socialisme n’a jamais été aussi proche de se réaliser au niveau planétaire. Cependant, les conditions subjectives font que le socialisme n’a jamais été aussi loin de se réaliser au niveau planétaire. Réaffirmons alors la nécessité d’un Parti d’avant-garde, éduquant, formant, motivant et disciplinant les masses vers la lutte, que l’on espère, finale.

1. V. Lénine. Que faire ? 1902.

2. Le partage du monde n’est pas nécessairement colonial. L’impérialisme ne peut se résumer à une simple domination militaire et territoriale, surtout après la vague des décolonisations. Elle est aussi politique et économique, directe comme indirecte.

3. La domination impérialiste mondiale est déjà établie à la veille de la Première guerre mondiale. En 1913, 45 % des capitaux de la Grande-Bretagne sont investis dans son empire colonial. Comme la démontré J. Marseille dans son ouvrage Empire colonial et capitalisme français, l’empire colonial français représentait déjà plus de 10 % du commerce extérieur de la métropole en 1914. Ainsi, Lénine n’extrapole pas quand il désigne l’impérialisme comme étant Le stade suprême du capitalisme. Nous sommes actuellement toujours et plus que jamais à l’ère du capitalisme impérialiste, de la dictature du capitalisme financier mondialisé.

4. La IIe Internationale est l’organisation internationale des partis socialistes de 1889 à 1916. Son incapacité à juguler les velléités belliqueuses des États impérialistes lors de la Première Guerre mondiale révéla sa faillite et signa sa mort. À la suite de la prise de pouvoir des bolcheviques en Russie, la IIIe Internationale naquit, bien décider à exporter la révolution à l’échelle mondiale – ce qu’elle réussit en partie.

5. V.Lénine. La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »). 1920.

6. V.Lénine. Ce que sont les « amis du peuple » et comment ils luttent contre les social-démocrates. 1894.

7. Ibid.

8. Ibid

9. Ce point est foncièrement vrai dans les pays en voie de développement et dans les pays les moins avancés. Dans les pays impérialistes, la question agricole se pose différemment. La majorité des travailleurs et des travailleuses sont devenus des ouvriers. Leurs intérêts concordent désormais parfaitement avec ceux de la classe ouvrière traditionnelle.

10. V. Lénine. La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. 1916.

11. J. Staline. Des principes du léninisme. Conférence donnée à l’Université Sverdlov en avril 1924.