Tribune : Des bateaux de papier

Avant d’aborder de plein pied cet article, je tiens à signaler qu’il s’agit d’une expérience personnelle, et que par souci de respect, tous les noms auxquels je me réfèrerai seront passés sous silence. En vous souhaitant une bonne lecture.

Comme tout le monde, je suis curieux. Un discours construit de nobles intentions et un entrain encourageant m’a immédiatement saisi, rien n’entravait cette voie, rien ne m’empêchait de m’engager aux côtés de valeureux camarades sur la voie de l’entraide et de la responsabilisation. Je suis donc rentré dans un syndicat étudiant.

Ce que je me suis mis à rechercher là-dedans était la compréhension de ce nouveau milieu, et le don de soi pour la cause générale. J’ai pensé que ce serait un moyen astucieux de m’ouvrir aux autres, de jouer le jeu de la sociabilisation et de me former au syndicalisme dans un milieu qui m’est maintenant familier. Cette expérience n’a rien changé de mes convictions, je suis communiste et marxiste-léniniste, je voulais œuvrer pour améliorer les choses, à aussi petite échelle qu’elle soit, mais quelle ne fut pas ma surprise et ma déception.

Au départ, il y avait énormément de bonne volonté et de chaleur humaine, un nouveau monde s’ouvrait à moi. Je pensais pouvoir faire des choses, participer activement à des actions concrètes, mais à moins de considérer que des réunions interminables qui ne débouchent que sur des consensus monotones soient des actions concrètes, les choses étaient d’une grande platitude. J’ai commencé à déchanter lorsque je me suis rendu compte qu’un entre-soi permanent régnait peu importe l’endroit ou le moment, et je sais combien il est facile de jeter la pierre à l’autre parce qu’on n’a pas su comment faire, mais ce comportement ne m’inspirait que de la démotivation et l’étrange impression de ne pas être à ma place. Frappez à la porte de quelqu’un et vous serez accueillis, et le reste du temps cela ne sera plus qu’être un auditeur de plus dans le cercle d’un débat qui tourne autour de mêmes sujets étouffants, et surtout très dangereux si vous prenez le risque de laisser s’échapper un avis contradictoire.

Voici donc le monde du syndicalisme étudiant moderne, gauchiste plus que de gauche, obnubilé par les questions identitaires, féministes, anti-capitalistes et anti-fascistes, le tout accompagné d’un arrière-goût désagréable d’idéalisme utopique qui ne tient pas la route. A partir de ce postulat, il est intéressant de voir comment les choses se sont progressivement écroulées sur elles-mêmes, comment une aventure qui s’annonçait intéressante et formatrice est morte ; bref, comment en suis-je arrivé là ?

C’est une déferlante de concepts et de slogans qui m’a, au premier abord, percuté. Qu’ils aillent du petit détail à la ligne politique, tous sont considérés avec la plus grande importance ; et gare à celles ou ceux qui négligent ces idées-là. Pour une grande partie de cette masse gauchisante, on voyage de l’écriture inclusive omniprésente dans tout type de texte à l’abolition des prisons et la libération de ses détenus. Remarquable idée de remettre en liberté les violeurs ou meurtriers contre lesquels ces mêmes personnes se battent. Ce principe s’adapte avant tout, et je caricature légèrement mon propos dans la phrase précédente, aux prisonniers politiques (de gauche, naturellement). J’ai fait mon cursus, ou ma peine, à l’époque des grands blocages universitaires de 2018. À échelle locale, contre la fusion des universités, et nationale, contre Parcoursup, la loi Vidal, la restriction des places à l’université découlant de la sélection, le gouvernement Macron et naturellement les États-Unis (et pour la Chine, tout à l’air de bien se passer, je vous renvoie à l’article de Melkart sur le sujet). Quelques mois après mon encartage (il faut bien le reconnaître), s’en est suivi ce mouvement colossal du blocage universitaire. J’ai pris du plaisir à m’investir dans cette lutte, cela m’a permis de m’immerger dans le monde des luttes sociales, de parler aux gens, de me renseigner, d’être utile à quelque chose (à mon échelle bien entendu). Cela était toujours étrangement vivifiant et intéressant d’assister aux assemblées générales universitaires, de voir les harangueurs lancer leur discours à la foule, conclu sous les applaudissements (ou les remuages de mains, je ne comprends toujours pas pourquoi), de participer aux votes, de voir l’avenir de la lutte se dessiner semaine par semaine.

Puis est venu le troisième mois, l’usure, le déjà-vu, et des surprises dont il aurait mieux valu ne pas parler. Les exercices d’éloquence ont progressivement succombé face à un tournant populisant, la parole était libre, mais que dans un sens : leur sens. Diverger des standards était mal vu, finissant souvent par des huées, des insultes, de la méfiance. À tel point qu’il a été décidé de voter la présence ou non des médias dans les assemblées générales.

Avec quelques personnes, dont les rapports étaient très amicaux, nous nous sommes retrouvés seuls face à une faune, des gens qui n’assumaient pas d’être pris en photo ou enregistrés durant leurs interventions. Les autonomes, voici le problème, ont contribué à transformer un espace de solidarité et de savoir politique en zone à défendre anti-tout. Les occupations, ils en sont maîtres, transformer un endroit de communauté en un squat hermétique aux gens extérieurs fut une grande prouesse. Voici une petite liste (non-exhaustive) de leur idéologie : anti-raciste, anti-sexiste, anti-fasciste, anti-capitaliste, anti-lgbtphobe, anti-syndicat, anti-politique (tous pourris), anti-validiste, anti-putophobe, anti-spéciste… Bref, je m’en arrêterai là. Mais quid de mon sujet principal, ma vie syndicale ? C’est en cette période-là que j’ai vite compris quelle allait être la cadence des implications. Premièrement, je n’ai reçu aucune formation pratique (très peu également sur le plan théorique), basiquement : je participe aux réunions en interne (2 ou 3 heures, voire 4), je tracte par-ci par-là, j’assiste aux envahissements, j’assiste aux soirées organisées par le syndicat, j’aide à tenir des permanences (rare), je sors en manifestations. En somme, tout repose sur la bonne volonté d’agir, personne ne m’a rien appris sur ce terrain-là. Je ne dis pas que je suis irréprochable dans cette histoire, j’aurais pu faire la démarche d’aller leur demander, mais ce qui m’a retenu dans mon élan était cet entre-soi permanent, ou rares sont ceux qui vous calculent, ou ceux qui paraissent débordés de travail. Cette attitude-là ne permet pas d’encourager les gens à venir proposer des idées, ou même discuter des pires banalités, qui suis-je face à eux ? Rien de bien préoccupant je suppose. Un militant parmi tant d’autres, qui se formera sur le tas.

Si, une fois (une fois j’ai bien dit), j’ai aidé une étudiante nigérienne, venue avec sa mère, à compléter son dossier d’inscription. Je lui ai expliqué où elle pouvait se procurer les papiers nécessaires à ce que son dossier soit validé, je lui ai rempli sa fiche selon ce qu’elle me disait et je lui ai même expliqué où se trouvait tel ou tel bâtiment. Mais c’est tout, j’aurais bien voulu faire en sorte d’aller plus loin que de rendre des services, le tout pour qu’au final nous ne les revoyions plus jamais. Ils viennent et ils repartent. Et le soir : réunion de trois heures sur des problèmes d’écriture inclusive ou des débats féministes à n’en plus finir. Au fur et à mesure que l’année s’écoulait, j’ai commencé à me sentir coupable, coupable de ne pas pouvoir faire plus, d’avoir trahi ma parole envers moi-même, d’avoir l’impression d’être le pire des réactionnaires face à certains discours, d’abandonner mes « camarades ». Durant les périodes d’occupation, ils n’y avait rien d’autre à faire que de venir voir des gens, parler entre nous, et repartir. Je dois bien être honnête, la création d’un comité d’accueil pour des migrants au sein de l’université eut été sûrement l’idée la plus excellente du mouvement. Il y a bien évidemment eu une tentative d’intersectionnalisation des luttes, avec le milieu du rail et des urgences, s’en suivant, rebelote, de discours interminables de convergence des luttes, de solidarité de classe, d’union contre les « techno-salopards » pour reprendre l’expression d’un camarade. Dans les faits, qui parmi les cheminots et fonctionnaires publics étaient présents le soir où les occupants du bâtiment d’accueil ont été expulsé par les forces de l’ordre ? Aucun, il n’y en avait aucun. Et, à part des soirées grillades dans les locaux de la SNCF, je n’ai pas souvenir d’autres actions concrètes de solidarité (venant du milieu étudiant) avec les travailleurs du rail. S’en est suivi des prises de positions complètement surréalistes, ayant juste mené à la création d’un groupe étudiant très à droite, voire extrême-droite. Mais ça, nous en reparlons dans l’article qui suivra.

Comment un mouvement social, quel qu’il soit, peut-il être pris au sérieux lorsque certains illuminés placent un chien à la tribune de leurs assemblées ? Ou que l’on organise un vote sur la conservation ou non de poules à l’intérieur d’un terrain militant ? « Mais c’est pour rigoler, un peu de détente ! » vous répondrons certaines de ces personnes. Mais sur des sujets aussi épineux que la sélection à l’université ou le licenciement de milliers de fonctionnaires de l’enseignement supérieur, les choses méritent d’être prises un peu plus au sérieux, tout en sachant l’arrière-fond idéologique qu’il y a derrière la mise en place d’un chien dans une tribune. Certains problèmes n’en sont pas.

Enfin, j’ai fini par me rendre compte du temps que j’avais perdu au contact du milieu gauchiste-idéaliste. Quelque chose dont l’amorce était convaincante s’est terni, devenant un carrefour d’une multitude de discours contradictoires, de vide pratique, et de bateaux en papiers réalisés pendant les assemblées générales, pour tromper le profond ennui que je ressentais. Voici donc mon expérience du monde syndical étudiant, et du monde du gauchisme également, un concentré de luttes identitaires et de postmodernisme. Mais de cela, nous en reparlons une autre fois.