Communisme : l’Héritage

Il est un poids que l’on fait peser particulièrement sur le dos des communistes : celui de leur histoire. Le XXe siècle a été marqué par la naissance et la mort des premiers États dirigés par des travailleuses et travailleurs. Entre 1917 et 1991, le rêve d’un monde socialiste et d’un contre modèle au système capitaliste a animé les espoirs des masses et des militants révolutionnaires.

Aujourd’hui, même les ruines de cette expérience commencent à disparaître. Pourtant, le spectre de ces cataclysmes, qui sont venus perturber un ordre «normal» des choses, continuent d’hanter l’esprit des exploiteurs. Si bien qu’ils luttent par tous les moyens possible pour enterrer l’idéologie socialiste, pour discréditer les régimes qui en furent issus1. Mais pour les communistes d’aujourd’hui, que faire de cet héritage?

L’expérience du socialisme réel est soumise à une foule de débat à l’extrême-gauche, chaque courant y mettant son grain de sel en fonction de sa grille d’analyse. Tous essaient de fixer des bornes chronologiques, à distribuer les bons points à tel régime ou tel dirigeant. Les aspirations vexées de certains pans du gauchisme ou du dogmatisme vont se réfugier dans une critique puriste de ces épisodes de l’histoire. Nous, militantes et militants de Reconstruction Communiste, considérons que ces expériences doivent être prises avec recul, sang-froid et surtout analysées sous le prisme du marxisme-léninisme. Ce dernier point est essentiel, sinon nous tombons dans la critique facile et dans les poncifs de la propagande bourgeoise. Je laisse aux exploiteurs les comptabilités macabres. Je dirai juste ceci : que les exploiteurs regardent eux aussi l’héritage de plus de deux siècles de capitalisme et combien de gens meurent encore chaque jour de ce système.

Il est une chose que des malheurs adviennent dans les régimes socialistes, il en est une autre de savoir si les famines, la répression et les guerres sont des éléments inhérents au système ou des évènements contingents. Un grand nombre d’attaques de la bourgeoisie sont d’ailleurs aujourd’hui balayées par des historiens2 de pays pourtant à la pointe de l’anticommunisme. Ainsi résumer Staline à un dictateur autocrate assoiffé de sang n’est plus d’actualité pour les spécialistes. Avec l’ouverture des archives soviétiques en 19913, un grand nombre de clichés ont sauté, notamment ceux véhiculés par le marxiste russe Trotski. Ce dernier, en lutte contre le parti bolchevique mené par Staline depuis 1924, a livré pendant plus d’une décennie une vision personnelle de la situation soviétique et de ses adversaires politiques. Considéré par les adversaires de gauche des États socialistes, cette source a très longtemps influencé les historiens sur le profil de la direction du régime stalinien. Le communiste contemporain peut donc espérer aborder de manière bien plus sereine le travail historique sur le socialisme au XXe siècle pour ensuite y apposer son analyse marxiste.

Les militantes et militants d’aujourd’hui doivent aussi sortir de la vision centrée sur le Bloc de l’Est pour ce qui est des expériences socialistes. Ce biais hérité de la révolution de 1917, plaçant le centre de gravité communiste en Europe de l’Est a longtemps éclipsé les régimes Asiatiques, Africains et des Caraïbes. Pourtant ces épisodes riches en leçons, révolutionnaires et théoriciens essentiels pour une vision plus large de la lutte sont encore victimes d’une dominance du « communisme occidental ». Pourtant des dirigeants comme Thomas Sankara, Amilcar Cabral sont tout aussi pertinents qu’un Staline ou Enver Hoxha. L’histoire du mouvement communiste et socialiste en général est riche, pleine de leçons. Pourquoi se contenter de quelques épisodes érigés en «classiques» ? Ce principe même de classique étant anti-dialectique4 mais ce n’est pas là notre sujet.

Nous devons tirer des leçons claires des échecs passés. Des grandes lignes de dysfonctionnement se dessinent, notamment la question démocratique. Le modèle de démocratie interne du parti illégal5 ne peut servir de base pour le fonctionnement d’un Etat des travailleuses et travailleurs. Ceci est un exemple mais il est typique de la problématique principale des communistes : nous savons prendre le pouvoir mais nous échouons à l’exercer correctement. Les dérives autoritaires, policières sont des soucis pointés du doigt depuis longtemps par les marxistes-léninistes eux mêmes, l’histoire montre pourtant qu’aucune solution durable n’a été trouvée. Nous avons donc un certain nombre de questions à résoudre. Se les poser, y réfléchir collectivement, c’est ne pas laisser le communisme se fossiliser. L’auto-critique à l’échelle de notre histoire ne doit pas nous faire peur, elle est signe de vitalité et de franchise vis-à-vis de nous même comme du prolétariat.

À contrario, nous ne devons pas avoir peur de clamer haut et fort les succès de nos prédécesseurs. Oui l’URSS a connu des famines mais il les as aussi éradiqué grâce à la collectivisation, la mécanisation et la modernisation de l’agriculture. Oui l’Albanie socialiste était très centrée autour de son dirigeant Enver Hoxha mais elle a aussi permis l’électrification du pays, les premiers chemins de fer, l’alphabétisation est passée de 3 % à 98 % de la population en quelques années6. Oui les pays socialistes étaient encore très marqués par le patriarcat mais dans tous ces pays, les femmes ont eu accès bien avant celles des pays capitalistes à l’avortement, à des postes politiques d’importance avec des femmes jusqu’au sommet de l’État7, un accès à toutes les professions. Oui Thomas Sankara était un militaire à la tête du gouvernement du Burkina Faso mais c’est sous sa direction que le pays est devenu auto-suffisant en nourriture, alors qu’il était encore l’un des pays les plus pauvres d’Afrique avant la révolution. Nous pourrions multiplier les exemples car le camp socialiste peut être fier de tout ce qu’il a accompli. Notre héritage c’est avant tout cela. Nous avons réussi à créer des régimes où chacun pouvait avoir un toit, de quoi manger, une éducation, des soins, des loisirs sans jamais craindre de manquer.

Nous sommes communistes, nous portons un héritage complexe, foulé au pied en permanence par nos adversaires. Mais nous devons être fiers de ce qui a été accompli pour le meilleur, tout en étant lucide sur nos erreurs. C’est le seul moyen d’avancer. Il ne tient qu’à nous de rectifier le tir et de faire encore mieux, de construire le nouveau modèle socialiste, pour un jour atteindre notre rêve : le communisme.


2 Citons par exemple les travaux de : Mark Tauger, Sheila Fitzpatrick, John Arch Getty, Geoffrey Roberts, Paul Preston,…

3 Anecdote : Lors d’une conférence de Nicolas Werth, historien anticommuniste, celui-ci déclare que les archives soviétiques sont dans un état de conservation remarquable. Tout y est conservé. Il n’y a eu aucune tentative de destruction d’archives de la police secrète ou du goulag par exemple. Ceci est à mettre en parallèle avec la destruction systématique des archives des régimes fascistes et autoritaires capitalistes.

4 Le matérialisme dialectique est la grille d’analyse du monde pour les marxistes.

5 Voir Que faire ? de Lénine (1902)

6 Bideleux R, Jeffries I. (2007). The Balkans : a post-communist history. Routledge.

7 Khertek Anchimaa-Toka, présidente du Tannou-Touva